Texte

Capsule Time #1 et #2

Tiphaine Kazi-Tani

CAPSULE TIME #1:

«LA CRYPTE DU CAPITALISME»
Tiphaine Kazi-Tani
Catalogue de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2017, Working Promesse les mutations du travail

Les designers n'ont cessé de critiquer le projet capitaliste, tout en étant paradoxalement à la pointe de son idéologie et de ses productions. À ce titre, on pourrait le qualifier de pharmakon1, c'est à-dire à la fois un remède et un poison. Le design produit ainsi des formes et des contre-formes du capitalisme dont la Crypte du capitalisme héberge quelques-uns des avatars. D'abord, un hommage presque funèbre à des textes essentiels de l'histoire du design, qui sont l'expression chorale d'un souci : souci de donner du sens au projet productiviste, mais aussi soucieux des conséquences d'un tel projet. Les documents dont les reproductions bordent l'entrée de la Crypte sont pour la plupart épuisés depuis des décennies. C'est aussi à ce titre qu'ils relèvent du mythe. Leur contenu se transmet comme une légende: à l'oral, dans une salle de classe, une conférence ou un workshop, ou via des formes écrites parcellaires, éditorialisées, sélectionnées par les savants du design. Le pôle Recherche atteste de l'existence des artefacts eux mêmes, réunis par l'exploitation de collections publiques et privées, comme on attesterait de l'existence d'un spectre. À l'intérieur de la Crypte, le sruines-bibelots d'Andréas Angélidakis deviennent des fétiches nécropolitiques2,suivant le mot du politologue Achille Mbembe3. Aussi bien inspirées par l'architecture des polykatoikies d'Athènes (le simmenses barres d'habitations modulaires construites à partir desannées 1920 pour faire face à la crise des réfugiés fuyant l'Asie Mineure) que par l'esthétique 3D bricolée de la plateforme SecondLife (collages sans échelles et autres déformations de fichiers source pour singer à la va-vite matériaux et surfaces), elles sont les maquettes d'habitation pour un monde fébrile où le présent a remplacé le passé et l'avenir, et où le camp, selon Giorgio Agamben4,devient la forme architecturale de l'état d'exception.



1 Voir Ars Industrialis,«Pharmakon», disponible à org/pharmakon> mais aussi Jacques Derrida,La Pharmacie de Platon, 1968, disponible à l'adresse : wp-content/uploads/2016/04/DERRIDA3-La-pharmacie-de-Platon-1968.pdf> 2 La nécropolitique décrit un mode de gouvernement qui s'appuie sur «une administration purement dépensière des corps humains, et de laquelle résulte la décharge de tous ceux qui ne comptent pas ». (Achille Mbembe, «Décoloniser les structures psychiques du pouvoir » [en ligne], Mouvements, septembre 2007,disponible à l'adresse : mouvements.info/decoloniserles-structures-psychiquesdu-pouvoir>)). Voir Achille Mbembe, «Nécropolitique », in Raisons politiques, 1/2006, no 21, p. 29-60.3 Achille Mbembe, «Nécropolitique », Raisons politiques, 1/2006, no 21,p. 29-60. 4 Giorgio Agamben, Homo Sacer. II, 1,État d'exception. Paris,Éditions du Seuil, 2003.


CAPSULE TIME #2:

«L'ENVERS DU DÉCOR EST UN MANIFESTE» ÉCRASER LES CHIENS DE GARDE À PROPOS DES MANIFESTES DE DESIGN
Tiphaine Kazi-Tani
Catalogue de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2017, Working Promesse les mutations du travail

Historiquement étrangers à la fabrication des savoirs scientifiques comme des programmes politiques, c'est dans la forme mineure du manifeste que les interrogations, déceptions, espoirs, visions et colères des designers trouvent refuge. Subjectif, ignorant de la véracité, spéculatif, intempestif, le manifeste oscille de manière ambiguë entre déclaration de guerre esthétique et grand-guignol politique. Décolonisateurs, technocritiques, postcapitalistes, les manifestes qui concluent l'Exposition #2 méprisent évidemment le raisonnable et invoquent des possibles désirables face aux prévisions des business plans et aux prédictions des algorithmes. Étrange et familière forme que celle du manifeste. Ni tout à fait poétique, même si son verbe cherche le rythme et la rupture - « nous allions écrasant sur le seuil des maisons les chiens de garde,qui s'aplatissaient arrondis sous nos pneus brûlants1»; ni tout à fait programmatique, car il lui manque souvent, si ce n'est toujours, de réunir les conditions de sa mise en action ; pas non plus artistique, en tout cas au sens d'une création d'un art autonome, car il ne s'envisage pas autrement que dans sa capacité à modifier la vie et la société, et à en être une chambre d'écho ; pas non plus strictement pragmatique, parce qu'il se veut visionnaire et subjectif, au-delà des contingences et des instances. Familière parce que le long siècle industriel dont nous héritons, et dans lequel niche originellement le design, s'émaille de manifestes. Manifeste communiste2, futuriste3, surréaliste4. manifeste SCUM5,manifeste bitch6 et des 343 Salopes7. Manifeste cyborg8 et xénoféministe9. Manifeste du Bauhaus10 et De Stijl11, charte d'Athènes12, de Munich13 et des fablabs14. First Thing First15.Manifeste des Riot Grrrls16, Dogme 9517. Manifeste agile18,manifeste pour le logiciel libre19, et de la Réparation20. Synthèse éditoriale de la modernité, il a accompagné les fracas techniques, politiques et esthétiques qui ont provoqué les mutations de ces cent cinquante dernières années. Il est l'enfant de la publicité, des mass media, de la propagande, des déchirures avant gardistes, de la réaction politique, de la colonisation industrielle, de la mondialisation de la guerre et du commerce, de la culture populaire, de l'aliénation multicouche, des ébranlements de l'ordre mondial,de l'individualisation des destins et de la revendication du désir. Vigoureuse déclaration d' [enfer pavé de bonnes] intentions, élégie pour un idéal, méthode Coué, le manifeste participe de l'histoire et de l'historiographie du design. Aujourd'hui encore, il demeure un passage obligé pour beaucoup d'étudiants, qui, en adoptant son outrance stylistique, y purgent visions, idéal, désespoirs,renoncements et doutes sans avoir de comptes à rendre à personne. Voire pire : il est parfois l'exercice commandé par l'enseignant-e en personne, qui pourra alors y évaluer un design de l'engagement - critères: singularité et contemporanéité du positionnement, connaissances des fondamentaux de la culture design, qualités et pertinence de la communication, qualités et pertinence de l'écriture graphique. Le manifeste est le rejeton d'une outrance, d'un excès. Débordement de colère, de frustration et de craintes; débordement de désir, de conviction, et de capacités. Pendant longtemps, l'espace de la prise de parole réflexive des designers passait par le manifeste, ou des formes d'écriture manifeste. Chez les radicaux des années 1960-1970, chaque texte de Casabella ou de Domus est une déclaration de guerre et d'amour, de colère et de joie. C'est que le designer semble avoir beaucoup à se faire pardonner, même si, comme l'expliquera si bien Sottsass Jr., il ne sait pas très bien quoi21. Au bout d'une réaction en chaîne qui touche de manière intime aux matières fissibles du design - éthique et esthétique, morale et politique, technique et économie, singularité et commun -, il y a le manifeste. Ou plutôt, il y avait le manifeste. Car le design, en tant qu'in-discipline22 (c'est-à-dire non circonscrit dans un cadre disciplinaire qui en fixerait les méthodes et les modes de description, de mise en oeuvre, d'action, de vérification), peine à se définir et à se situer. Il peut considérer ses apports, comme en atteste la littérature qui commence à abonder dans les années 1950 (Moholy-Nagy23,Loewy24, Dreyfuss25, Rand26, etc.). Mais comment les mesurer ? les attester ? en définir les modalités ? Et comment faire face à la critique qui enfle, portée parfois par les designers eux-mêmes (Natalini27,Papanek28, Garland29...)? La Deuxième Guerre mondiale, puis les démonstrations de force technologiques de la guerre froide, exigent une « scientisation » du design : il est question de façonner et de transmettre des méthodes, voire des méthodologies, sur un modèle scientifique. Au cours des années 1960, le design industriel, sous l'influence des sciences de l'ingénieur, de la théorie et de l'analyse des systèmes, se façonne progressivement un cadre épistémique propre30. En 1966 est fondée la Design Research Society, première société savante de design. Le design devient un champ scientifique. Dès les années 1920, Theo van Doesburg notait que «notre époque est hostile à la spéculation subjective, que ce soit dans l'art, les sciences ou les technologies. Le nouvel esprit qui déjà gouverne presque toute la vie moderne est opposé à la spontanéité animale, à la domination de la nature, aux balivernes artistiques. Afin de construire un nouvel objet, nous avons besoin d'une méthode, c'est-à-dire d'un système objectif31 ». Dorénavant,la forme d'écriture qui performe le design, qui l'autorise à modifier objectivement le réel, qui lui confère une épaisseur politique mais surtout économique, est l'article scientifique. Avec lesformes de l'écriture scientifique, le design apprend à parler l'idiome dominant, hégémonique: celui de l'objectivation et de la mise en calcul du monde. Que le manifeste paraît faible alors, incapable qu'il est defaire ce qu'il dit, « parce que les conditions du faire ne sont réunies qu'en son sein, et dans l'espace de lecture ou d'écoute qu'il partage avec son public potentiel32». Paradoxalement, c'est bien parce que le manifeste ne cherche pas à convaincre, mais bien plutôt à traverser tous ceux en qui résonnent toujours-déjà ses promesses intenables que le monde qu'il imagine en partage est «le désir d'un projet collectif, celui d'une communauté à venir33 ». Et si nous abandonnions dès maintenant les calculs prévisionnels des business plans, prédictifs des algorithmes, pour la métrique des manifestes?

1 Filippo Tommaso Marinetti,«Manifeste du futurisme», Le Figaro, no 51, 20 février 1909, p. 1. 2 Karl Marx et Friedrich Engels, Manifest der Kommunistischen Partei, Londres, J. E. Burghard,1848. 3 Filippo Tommaso Marinetti, «Manifeste du futurisme», art.cit. 4 André Breton, Manifeste du surréalisme, Paris, Éditions du Sagittaire, 1924. 5 Valerie Solanas, SCUM Manifesto, New York, S.C.U.M.,1967.6 Joreen, «The Bitch Manifesto», Notes From The Second Year: Women's Liberation. Major Writings from the Radical Feminists, New York, Shulamith Firestone and Anne Koedt,1970, p. 5-9.7 Simone de Beauvoir etal., «Manifeste des 343», Le Nouvel Observateur, no 334, 5 avril 1971. 8 Donna Haraway, «A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist Feminism in the Late Twentieth Century», Simians, Cyborgs and Women:The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991 ,p.149-181. 9 Laboria Cuboniks, Xenofeminism: a Politics for Alienation (en ligne), 2015. Disponible à l'adresse: www.laboriacuboniks.net/>. 10 Walter Gropius, Bauhaus-Manifest und Programm, Weimar, 1919. 11 Theo van Doesburg, «Manifest 1 van "De Stijl"», De Stijl, vol. II, no 2, novembre1918, p. 2. 12 Congrès international d'architecture moderne, La Charte d'Athènes, Marseille-Athènes, CIAM, 1933. 13 Collectif, «The Munich Design Charter», Design Issues,vol. VIII, no 1, automne 1991,p. 74-77. 14 The Fab Charter (en ligne), Cambridge (États-Unis), Massachussets Institute of Technology, 2007. Disponible à l'adresse: edu/about/charter/>. 15 Ken Garland, First Thing First, Londres, avril 1964.16 Riot Grrrls, «Riot GrrrlsManifesto», Bikini Kill, no 2,1991 17 Lars von Trier et Thomas Vinterberg, Dogme 95, Copenhague, 13 mars 1995 (lu le 20 mars 1995 au Théâtre de l'Odéon, Paris). 18 Martin Fowler et Jim Highsmith, «The Agile Manifesto», Software Development, vol. IX, no 8, 2001, p. 28-35. 19 Richard Stallman, ManifesteGNU (en ligne), 1985. Disponible à l'adresse:manifesto.html>. 20 Platform 21, Repair Manifesto (en ligne), 2009. Disponible à l'adresse: platform21.nl/page/4375/en> 21 Voir «Tout le monde dit que je suis méchant » (1973), in Alexandra Midal, Design, l'anthologie, 1841-2007, Saint-Étienne, Cité du design, 2013, p. 315-318. 22 voir Steve Harfield, « On the Roots of Undiscipline», Proceedings of DRS 2008, Sheffield, Design Research Society Biennial Conference, 2008, p. 151/1-151/9. 23 László Moholy-Nagy, Visionin Motion, Chicago, Paul Theoblad & Co., 1947. 24 Raymond Loewy, La laideur se vend mal, Paris, Gallimard,1963. 25 Henry Dreyfuss, Designing fo rPeople, New York, Simon & Schuster, 1955. 26 Thoughts on Design, New York, Wittenborn & Company,1947. 27 Adolfo Natalini, «A City Model for a Model City», Daidalos,no 4, 15 Juin 1982, p. 81-82. 28 Victor Papanek, Design pour un monde réel, Paris, Mercure de France, 1974. 29 Ken Garland, First Thing First,op. cit. 30 voir Nigan Bayazit, «A Review of Investigating Design: Forty Years of Design Research», Design Issues, vol. XX, no 1, hiver 2013, p. 16-29 et Nigel Cross, «A History of Design Methodology», in Marc de Vries et al. (ed.), Design Methodology and Relationships With Science, Springer, 1993, p. 15-28.31 Theo van Doesburg (1923), cité par Gillian Naylor, The Bauhaus, Londres, Studio Vista, 1968. 32 Bastien Gallet, «À l'impossible le manifeste est tenu», Lignes, vol. I, no 40, 2013, p. 21-29. 33 Christophe Kihm, «Manifestes, collectifs, mobilisations», Lignes,op. cit., p. 9-20

CAPSULE TIME #1

"THE CRYPT OF CAPITALISM"

Tiphaine Kazi-Tani

Catalogue of the Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2017, Working Promesse, shifting work paradigme



Designers have constantly criticised the capitalist system, while paradoxically being at the forefront of its ideology and output. As such, one could describe it as a pharmakon1, in other words, both a remedy and a poison. So design produces forms and counter forms of capitalism some of whose avatars are lodged in the Crypt of capitalism. First an almost funereal tribute to essential texts in the history of design, that are the choral expression of one worrying concern: the concern to give meaning to the production-driven project, but also worries about the consequences of such a project.The reproduction documents that line the entrance to the Crypt have, for the most part, been out of print for decades. It is alsoas such that they have become stuff of myth. Their contents are passed on like a legend: by wordof mouth, in a classroom, a lecture or a workshop, or in written form piece meal, in opinion pieces, selected by design scholars. The Research centre confirms the existence of the artefacts themselves, brought together by exploiting public and private collections, as one would attest to the existence of a phantom. Inside the Crypt, Andréas Angélidakis's ruined knickknacks become necropolitical fetishes2, to use political commentator, Achille Mbembe's term3. Inspiredas much by the architecture of the polykatoikies in Athens (the huge blocks of modular housing constructed from the 1920s to deal with the crisis created by refugees fleeing Asia Minor) as by the cobbled together 3D aesthetic of the Second Life platform (collages with no scale and other distortions of source files to hastily mimic materials and surfaces), they are scale models of housing for a febrile world in which the present has replaced the past and future, and where the camp, according to Giorgio Agamben4, becomes the architectural form of states of emergency.

1 See Ars Industrialis,"Pharmakon", available at <http://
arsindustrialis.org/pharmakon> and Jacques Derrida, La Pharmacie de Platon, 1968 [Plato's Pharmacy], available at:<http://laboratoirefig.fr/wpcontent/uploads/2016/04/DERRIDA3-La-pharmacie-de-Platon-1968.pdf> 2 Necropolitical describes a form of government based on "an administration utterly wasteful of human bodies, resulting in the disposal of all those who do not matter". (Achille Mbembe, "Décoloniser les structures psychiques du pouvoir"(Decolonising the psychicstructures of power) [on line], Mouvements, September 2007,available at: <http://mouvements.info/decoloniser-les-structurespsychiques-du-pouvoir>. 3 See Achille Mbembe,"Nécropolitique" (Necropolitics), in Raisons politiques, 1/2006,no 21, p. 29-60. 4 Giorgio Agamben, HomoSacer. II, 1, État d'exception.Paris, Éditions du Seuil, 2003.



CAPSULE TIME #2:

"CRUSHING THE GUARD DOGS "

ON THE TOPIC OF DESIGN MANIFESTOS
Tiphaine Kazi-Tani
Catalogue of the Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2017, Working Promesse, shifting work paradigme


Historically unacquainted with scientific knowledge or political programmes, designers' questions, disappointments, hopes, vision and angers find refuge in the manifesto. Subjective, ignoring the truth, speculative, untimely, the manifesto ranges ambiguously from an aesthetic declaration of war to a major act of political pomp. De-colonialist, technocritical, post-capitalist, the manifestos which conclude Exposition #2 clearly disdain what is reasonable and instead seek out desirable possibilities in the face of the projections of business plans and predictions of algorithms. What an odd yet familiar thing is the manifesto. Not quite poetic, even if its seeks out rhythm and disruption - "And on we raced, hurling watchdogs against doorsteps, curling the munder our burning tyres like collars under a flatiron1"; nor totally acomprehensive programme, as it often if not always fails to bring together the conditions of its implementation; nor is it artistic, at least not in the sense of any creation of autonomous art since it seeks nothing other than to modify life and society and to be their echo chamber; not even strictly pragmatic as it attempts to be visionary and subjective, above any contingencies or events. Familiar because the long industrial century of which weare the heirs, and which gave birth to design, was dotted with manifestos. Communist2, futurist3, Surrealist4. SCUM manifesto5, bitch manifesto6 and manifesto of the 3437. Cyborg8 and xenofeminist manifestos 9.Bauhaus10 and De Stijl11 manifestos, Athens12, Munich13 and the fablabs14 charters. First Thing First15. Manifesto of the Riot Grrrls16, Dogme 95 17. Agile manifesto18, GNU manifesto19 and repair manifesto20. An editorial summary of modernity, it accompanies the technological, political and aesthetic crises which drove the changes of the past century and a half. It is the child of advertising, mass media, propaganda, avant-gardist disputes, political reaction and industrial colonisation, of the globalisation of war and trade, of popular culture, multi-layered alienation, of tremors shaking the global order, the individualisation of fate and the quest to achieve our desires. Vigorous declaration of (road to hell paved with good) intentions, eulogy for an ideal, Coué method of self-persuasion: the manifesto is part of the history and historiography of design. Today still, it remains a rite of passage for many students who, by taking on its stylistic excesses, use it to express their visions, ideals, disappointments, abjurations and doubts without owing anything to anyone. Evenworse, it is sometimes assigned by instructors to evaluate the design of students' commitment, for which the criteria are: uniqueness and contemporaneity of the position taken, knowledge of the fundamentals and culture of design, quality and relevance of the message, quality and relevance of the writing itself. The manifesto is the offspring of excess. Overflowing anger, frustration and fears or overflowing desire, conviction and ability. For a long time, the instinctive area of expression for designers was the manifesto, or at least manifest forms of writing. For the radicals of the 60s and 70s, every text written by Casabella or Domus was a declaration of war and love, of anger and joy. Designers seem to have many things for which they want apologies, even if, a sexplained by Sottsass Jr., they don't really know what21. At the end of a chain reaction involving the fissiles of design -ethics and aesthetics, morality and politics, technology and economy, singularity and the commons -there is the manifesto. Or rather, there was the manifesto. After all, design, as an undiscipline22 (that is to say an area not limited in terms of the methods and modes of its description, implementation, action and verification) struggles to define and place itself. It has clearly contributed, as shown in the literature which began to abound during the 1950s (Moholy-Nagy23, Loewy24, Dreyfuss25, Rand26, etc.). But how to measure it? To proveit? To define its details? And how to counter the growing criticism,sometimes from designers themselves (Natalini27, Papanek28, Garland29...)? The Second World War, followed by the technological shows of force of the Cold War, required a "scientification" of design: methods and methodologies had to be created and transmitted on a scientific basis. During the 1960s, industrial design, under the influence of engineering, theory and systems analyses, progressively developed its own epistemic framework30. The Design Research Society, the first scientific design body, was founded in 1966. Design had become a scientific field. As early as the 1920s, Theo van Doesburg noted that "our era is hostile to subjective speculation, whether that be in art, science or technology. The new spirit that already governs all modern life is opposed to animal spontaneity, the domination of nature or artistic poppycock. To create a newobject we need a method, that is to say an objective system31".From then on, the type of writing which carries out design, which authorises us to objectively modify reality, which gives it political and in particular economic heft, is the scientific article. In this new scientific guise, design learns to speak the dominant idiom: that of the objectification and calculation of the entire world. How weak the manifesto now seems, unable to do what it says, "because the conditions to do so exist only within it, and in the visual and audible space it shares with its potential audience32!" Paradoxically, it is because the manifesto does not seek to convince, but rather to travel through all those for whom its impossible promises resonate and have always resonated, that the world it imagines is "the wish of a collective project, that of a future community33". So, what if we immediately abandoned the projected calculations of the business plan and the predictions of the algorithms for the metric of the manifesto?

1 Filippo Tommaso Marinetti, «Manifeste du futurisme» [The Manifesto of Futurism], Le Figaro, no 51, 20 February 1909, p. 1. English translation available online at: <http://www.italianfuturism.org/manifestos/foundingmanifesto/>. 2 Karl Marx and Friedrich Engels, Manifesto of the Communist Party, London, J. E. Burghard,1848. 3 Filippo Tommaso Marinetti,The Manifesto of Futurism4. André Breton, Manifeste du surréalisme [The Manifesto of Surrealism], Paris, Éditions du Sagittaire, 1924. 5 Valerie Solanas, SCUM Manifesto, New York, S.C.U.M.,1967. 6 Joreen, « The Bitch Manifesto», in Notes From The Second Year: Women's Liberation. ajor Writings from the Radical Feminists, New York, Shulamith Firestone and Anne Koedt, 1970, p. 5-9. 7 Simone de Beauvoir et al., «Manifeste des 343 » [The Manifesto of the 343], Le Nouvel Observateur, no 334, 5 April 1971. 8 Donna Haraway, A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist Feminism in the Late Twentieth Century in Simians, Cyborgs and Women : The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991, p.149-181. 9 Laboria Cuboniks, Xenofeminism: a Politics for Alienation (online), 2015. Available at:<http://www.
laboriacuboniks.net/>. 10 Walter Gropius, Bauhaus-Manifest und Programm, Weimar, 1919. 11 Theo van Doesburg, « Manifest 1 van "De Stijl"», De Stijl, vol. II, no 2, November 1918, p. 2. 12 Congrès international d'architecture moderne, The Athens Charter, Marseille-Athènes, CIAM, 1933. 13 Collection, The Munich Design Charter, Design Issues, vol. VIII, no 1, Autumn 1991, p. 74-77. 14 The Fab Charter (online), Cambridge (United States), Massachusetts Institute of Technology, 2007. Available at: <http://fab.cba.mit.edu/about/
charter/>. 15 Ken Garland, First Thing First,London, April 1964.16 Riot Grrrls, Riot Grrrls Manifesto, Bikini Kill, no 2, 1991. 17 Lars von Trier and Thomas Vinterberg, Dogme 95, Copenhagen, 13 March 1995 (read 20 March 1995 at the Théâtre de l'Odéon, Paris). 18 Martin Fowler and Jim Highsmith, «The Agile Manifesto », Software Development, vol. IX, no 8, 2001, p. 28-35. 19 Richard Stallman, GNU Manifesto (online), 1985. Available at: <https://www.gnu.org/gnu/
manifesto.html>. 20 Platform 21, Repair Manifesto (online), 2009. Available at: <http://www.platform21.nl/page/4375/en>.21 See «Tout le monde dit que je suis méchant » (1973), in Alexandra Midal, Design, l'anthologie, 1841-2007, Saint-Étienne, Cité du design, 2013, p. 315-318. 22 See Steve Harfield, « On the Roots of Undiscipline», Proceedings of DRS 2008, Sheffield, Design Research Society Biennial Conference, 2008, p. 151/1-151/9. 23 László Moholy-Nagy, Visionin Motion, Chicago, Paul Theoblad & Co., 1947. 24 Raymond Loewy, La laideur se vend mal, Paris, Gallimard, 1963. 25 Henry Dreyfuss, Designing for People, New York, Simon & Schuster, 1955. 26 Thoughts on Design, New York, Wittenborn & Company, 1947. 27 Adolfo Natalini, A City Modelfor a Model City, Daidalos, no 4, 15 June 1982, p. 81-82. 28 Victor Papanek, Design pour un monde réel, Paris, Mercure de France, 1974. 29 Ken Garland, First Thing First, op. cit. 30 See Nigan Bayazit, «A Review of Investigating Design: Forty Years of Design Research», Design Issues, vol. XX, no 1,Winter 2013, p. 16-29 and Nigel Cross, A History of Design Methodology, in Marc de Vrieset al. (ed.), Design Methodology and Relation ships With Science, Springer, 1993, p. 15-28. 31 Theo van Doesburg (1923), cited by Gillian Naylor, The Bauhaus, London, Studio Vista, 1968. 32 Bastien Gallet, «À l' impossible le manifeste est tenu», Lignes, vol. I, no 40, 2013, p. 21-29. 33 Christophe Kihm, Manifestes, collectifs, mobilisations, Lignes, op. cit., p. 9-20.