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Duo de sculptures pour Axalta

par Émilie PerottoBlog
Sculpture Industrielle

Emma Faury-Graziani (DNSEP ACDC_espaces 2022) et Manon Freulon (DNSEP ACDC_espaces 2022) ont répondu à une commande de l'entreprise Axalta, pour l'embellissement de son site de Montbrison. Leurs pièces ont été installées en octobre 2023. L'accompagnement de ce projet a aidé l'atelier de recherche-création Sculpture Industrielle à se définir comme tel.

© Emma Faury-Graziani & Manon Freulon

Émilie Perotto :
Emma, Manon, à la rentrée d’octobre 2021, je vous proposais de répondre à la demande de l’entreprise Axalta, qui avait sollicité l’Esadse pour que des étudiant.e.s travaillent à une sculpture pérenne qui embellirait l’entrée de leur parking sur le site de Montbrison. En effet, l’entreprise, un des leaders mondiaux de la peinture en poudre thermodurcissable, reçoit beaucoup de collaborateurs internationaux sur son site ligérien, et tient à ce que l’apparence du lieu témoigne au mieux de son excellence, tout en étant accueillant.  

En 2021, vous étiez toutes deux étudiant·e·s en année 4, en mention ACDC_espaces, option design. Malgré le fait que l’entreprise souhaitait une sculpture sans fonction précise, j’ai eu l’intuition que vos pratiques de design pourraient s’épanouir dans cette commande. Emma, je connaissais ta sensibilité à la couleur, et ta joie à la mettre en forme. Manon, je connaissais ta rigueur technique, et ton goût pour le travail de l’acier. Il me semblait également que vous seriez en capacité de travailler ensemble.  

Pour commencer notre entretien, pourriez-vous revenir sur notre visite de l’entreprise et des ateliers de fabrication de peinture en poudre ? Qu’avez-vous ressenti dans l’usine ? Et puis, ensuite, quand la commande d’Axalta vous a été présentée par Liliane Durris (Expert Couleurs et Prescription) et Anne-Lise Michaud (Technology Manager Construction and Building products, Lab Manager France), qu’avez-vous pensé ?  Cette commande allait-t-elle d’elle-même pour vous ou bien était-elle déstabilisante ?  

Color Experience Room à Axalta ©Emma Faury-Graziani & Manon Freulon

Manon Freulon :
Tout d’abord, j’ai trouvé Lilianne et Anne-Lise très accueillantes et passionnées par leur métier, ce qui m’a davantage motivée quant à l’idée de collaborer. Je me demandais ce qu’elles avaient en tête lorsqu’elles parlaient de sculpture. Nous n’avions sûrement pas les mêmes images en tête. Par ailleurs, moi qui n’en réalisais pas, je n’avais pas compris pourquoi tu m’avais choisi pour répondre à leur demande, surtout dans l’idée de faire un objet « sans fonction ».  En même temps, elles n'avaient pas formulé de demande précise, donc cela nous permettait de nous approprier le projet. Mais j’appréhendais de ne pas correspondre à leur attente. La visite d'Axalta était enrichissante, puisqu’elle nous permettait de saisir l’entièreté du processus de mise en peinture de l’entreprise.   

Emma Faury-Graziani :
Je ne m'étais pas beaucoup renseignée sur l’entreprise (sur le moment) et je pense avec le recul que je ne m'étais pas rendue compte de son ampleur internationale. J’avais confiance en toi, Émilie, et étais très heureuse de participer à ce projet. Sur le trajet pour nous rendre à Axalta, j’étais stressée car je sentais que ce projet était ambitieux, mais j'étais aussi curieuse et impatiente de découvrir les lieux (comme une enfant à la rentrée des classes).
Dès le début de la visite, j’ai été très attentive et impressionnée par l’entreprise. Mon intention principale était de comprendre pleinement qui était Axalta afin de pouvoir répondre au mieux à leur demande. Bien que nous avions une totale liberté en ce qui concerne la forme, notre défi était de mettre en avant leurs compétences, ce qui s’est avéré déstabilisant. À la fin de notre visite, Manon et moi, dans mes souvenirs, étions un peu désorientées car nous ne savions pas par où commencer. J’avais en tête des designers qui travaillent le métal, mais aucun d’entre eux ne l’associait avec des couleurs, ce qui m'a laissée perplexe. Pendant le trajet du retour, nous avons même envisagé de proposer une seule structure que nous aurions imaginée ensemble, mais finalement, l’envie de travailler sur des projets distincts était évidente. J’ai pris le temps de laisser passer quelques semaines pour digérer la visite, puis progressivement, des images ont commencé à se former dans mon esprit, et cela a conduit à la naissance de quatre projets. En 4e année, j’avais peu pratiqué le métal, et donc, en imaginant ces différents projets, la technicité de réalisation n’est venue qu’en troisième ou quatrième plan. Pour moi, tout était possible. J’avais cette envie de pratiquer le métal sous toutes ses formes, chaque machine, chaque outil de réalisation, tout me donnait envie. L’envie de passer du temps sur la réalisation était très pressante. J’étais impatiente et curieuse de commencer. Lors d’une réunion avec toi, Émilie, nous avons finalement décidé quel projet s’harmoniserait le mieux avec celui de Manon, qui était déjà plus avancé.

Color Experience Room à Axalta ©Emma Faury-Graziani & Manon Freulon

ÉP :
Manon, tu dis que le fait que la demande n'était pas précise vous permettait de vous approprier le projet. Je suis tout à fait d'accord avec cela. L'entreprise souhaitait une sculpture, mais une sculpture qui mette en avant ses savoir-faire. Pour moi, la fonction première des objets que vous alliez proposer se situait à cet endroit. Et j'imaginais qu'il pouvait être très stimulant pour vous d'arriver à comprendre le besoin de l'entreprise, de proposer une réponse, tout en étant dans une grande générosité plastique.

Comment, Manon, Emma, avez-vous élaboré votre plan de travail à la suite de cette visite ? Le lieu d'installation proposé pour le projet n'était pas des plus séduisants, mais, à mon sens, il n'en était que plus méritant d'objets qui viendraient l'habiter en conséquence. Êtes-vous parties du lieu d’installation pour concevoir les pièces ?

MF :
Ce qui m’a intéressée dès le départ, c’était de trouver un moyen de pouvoir activer la sculpture. Comment amener une interaction entre les personnes travaillant à Axalta et la sculpture dans un endroit qui ne le présageait pas ? Le lieu était tout de même intéressant, il ressemblait pour moi à un énorme socle, qui délimitait l’espace des sculptures. Les voitures et les piétons faisaient presque le tour de ce socle pour accéder au parking. J’ai voulu prendre en compte ce regard en mouvement qui défilerait autour. L’endroit était découvert, le soleil se refléterait facilement sur les pièces métalliques. Le lieu m’a donc amenée à penser une sculpture qui révélerait différentes images selon les points de vue des visiteur·euse·s, ainsi que de longues surfaces planes pour accueillir le soleil.

EFG :
Après ma première visite, je dois admettre que j’ai trouvé l’endroit un peu triste, bien que relativement spacieux. Lorsque tu nous as parlé du projet, Émilie, je m’attendais à un espace bien plus restreint, ce qui a été une agréable surprise. Toutefois, dès que j’ai découvert la palette de couleurs d’Axalta, j’ai immédiatement su que c’était le point de départ. Je pense que les couleurs peuvent avoir un impact considérable sur l’atmosphère et sur la perception que l’on peut avoir d’un lieu. Comme je l’ai mentionné dans ma réponse précédente, j’ai pris plusieurs semaines avant de me lancer dans la création. Quatre projets ont émergé, et en les regardant à nouveau hier soir, j’ai réalisé à quel point ils étaient distincts, notamment en ce qui concerne la prédominance et la diversité des couleurs sur chacun d’eux. Avec du recul, l’idée du totem accueillant les clients et tournant avec le vent, telle une danseuse, m’a particulièrement séduite. En tout cas, c’était le projet avec lequel je me sentais le plus à l’aise. Lorsque j’ai imaginé ces quatre projets, j’avais déjà connaissance du projet de Manon. Par conséquent, je ne suis pas partie du lieu d’installation, bien que cela ait évidemment été un élément à prendre en compte. Au lieu de cela, je suis partie de la sculpture de Manon, cherchant comment je pourrais y répondre au mieux, comment les deux projets pourraient dialoguer et se compléter. Avec le recul, Tonoïde apparait comme la réponse adéquate.

ÉP :
En suivant votre travail, j'ai trouvé vraiment pertinent la façon dont vous avez œuvré. Manon, tu as commencé très rapidement à répondre au contexte spatial en dessinant des premières esquisses, comme tu le dis, à partir de ce "gros socle". Puis Emma, tu as avancé dans tes propositions à partir du projet de Manon. Il me semble qu'il y a quelque chose de presque musical dans ce process, où un.e musicien.ne commence à jouer qu'après avoir écouté ce qui est joué par la personne précédente, l'idée étant de viser à l'harmonie, sans pour autant disparaître dans les notes jouées par l'autre. Quand je regarde vos pièces installées, il est évident qu'elles ont quelque chose de commun, un air de famille, et pourtant elles ont chacune un langage plastique bien différent. Avec du recul, il aurait été possible de donner un titre global au projet, qui mette en exergue cette compétence d'écoute dont vous avez fait preuve. On pourrait même dire qu'avec ce projet vous définissez les designers comme des oreilles qui font lien. Que pensez-vous de cette idée ? Est-ce que vous avez déjà travaillé à un autre projet qui rentrerait en écho avec cela ? Si oui, pourriez vous le décrire ?

Nuancier ©Manon Freulon

MF :
Je pense que ce qui a facilité la mise en relation de ces deux sculptures est que nous ne souhaitions pas révéler la même chose. En tout cas, pas directement. Ainsi, les sculptures se répondent, mais ne disent pas la même chose. Comme Emma l’a dit, son intérêt s’est tout de suite centré sur les couleurs. Alors que je m’intéressais plutôt au moyen de permettre à l’entreprise de choisir ces couleurs. J’utilise souvent la couleur bleue, car je la trouve discrète et assez douce. Ainsi, les couleurs de Nuancier laissent la place aux couleurs pétillantes de Tonoïde. Cet échange s’est fait naturellement, car je n’ai pas le souvenir, au premier abord, que nous ayons parlé de ces complémentarités et de ces différences. Nous l’avons fait en silence, en observant la proposition de l’autre. 

Je ne crois pas que nous ayons d’autres projets qui rentreraient en écho avec cela... Mais peut-être que je ne le vois pas. As-tu une idée en tête ?

ÉP :
C’est intéressant de lire, Manon, que votre écoute de l’une et l’autre s’est faite de façon silencieuse. Je reviens donc à l’idée du designer comme oreille qui fait lien. Oui, pour moi, il est évident que c’est de cette façon que tu travailles actuellement sur le projet cité du design 2025. Peux-tu nous présenter rapidement le contexte et nous expliquer quelle est ta méthode de travail ? Emma, je pense également au projet que tu développes actuellement autour de nouveaux biomatériaux. Peux-tu nous en parler ?

MF :
Pour le projet Cité du design 2025, l’idée était d’imaginer un objet qui facilite les interactions entre les habitant·e·s du quartier de la Manufacture : l’objet doit s’intégrer sur l’espace vert du square Schoelcher, entre les habitations. Encore fallait-il définir quels types d’interaction... Elles n’allaient pas forcément être d’humain à humain comme on aurait pu l'imaginer. Lorsque l’on travaille avec d’autres personnes, l’écoute est une partie essentielle du processus de création. Tout le monde a des idées, de l’imagination et un avis, il suffit de permettre aux personnes de les exprimer. Je considère que mon travail est de tenter de traduire plastiquement ces échanges. Ensuite, il était important pour moi de ne pas être que dans le recueil de paroles, mais que les habitant·e·s soient acteur·rice·s dans l’élaboration du projet : réalisation de croquis, de dessins, de maquettes. C’est super d’avoir des témoignages, mais on voit beaucoup d'autres choses dans les dessins et les maquettes par les formes, les couleurs, les fonctions choisies. Bien plus efficaces que s’il·elle·s avaient voulu me l’expliquer, je pense.

Tonoïde ©Emma Faury-Graziani

EFG :
Afin créer ce lien, j’ai dû sourcer des matières premières dans des entreprises locales disposant de rebuts de production. Je pense justement à la Cartonnerie d’Ondaine situé à Andrézieux-Bouthéon et à la Scierie Montmartin située à La Talaudière, avec lesquelles je collabore pour récupérer leurs rebuts. L’objectif est ensuite de valoriser ces rebuts en les transformant en nouvelles ressources. Cette démarche vise non pas à créer des imitations de matériaux déjà existants, mais à démontrer leur légitimité au sein de nos pratiques dans le domaine du design, ainsi que leur utilité dans l’architecture.
 
Tout ce processus me pousse à réfléchir sur la manière la plus responsable de concevoir un objet. Dans mes recherches actuelles sur les biomatériaux, je constate la nécessité d'une écoute attentive entre la matière et le designer. Les matières avec lesquelles j’ai travaillé présentent une grande diversité. Certaines se décomposent ou pourrissent rapidement, d’autres restent très liquides ou durcissent comme un rocher. Mon intention était de comprendre les changements intervenus dans mon processus. Par la suite, j’ai dû analyser en détail chacun de mes gestes : le temps nécessaire à la réalisation de la recette, la température de l’eau lors du chauffage de la matière, la durée pendant laquelle la matière était laissée dans le moule, etc. Tout cela dans le but de comprendre où se situaient les différences et comment je pouvais les modifier ou les faire évoluer. Il a été nécessaire « d’établir » un lien avec la matière pour la comprendre davantage, tout en créant une connexion avec moi-même pour comprendre ma manière de travailler.

par Émilie PerottoBlog
Sculpture Industrielle


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