Pointbreak

Point Break Corpus (1)

Des références qui font le sel de Point Break

À propos de ce blog

Pointbreak

Initié par Emmanuelle Becquemin et Émilie Perotto et porté avec les étudiant·e·s de la Mention ACDC_espaces, L’Atelier de recherche Point Break est ouvert à toutes celles et ceux qui souhaitent prendre au pied de la lettre l’expression Point Break, cet espace où la houle d’une discipline change de direction au contact de la masse d’une autre discipline : la vague se forme alors sur ce point de contact, et donne naissance à une zone particulière où la ou le pratiquant·e expérimente l’extrême limite.


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par Emmanuelle Becquemin

Marie Darrieussecq, Précision sur les vagues

La plage descend doucement. L’eau se tient nettement au-dessus et s’effondre pour pouvoir toucher terre, pour faire la jointure : sinon l’espace béerait. Le vide au cœur du rouleau, celui que les surfeurs nomment : le tube, est cet espace béant qui resterait ouvert si la mer ne touchait pas terre. Le tube parque la place éphémère du vide, avant la fermeture, avec fracas, de la matière. C’est une mise en ordre en spirale (…) ; la vague de cette côte contient géométriquement le vide, elle l’organise, elle l’admet dans le sens imposé d’une rotation. L’air qui s’engouffre émet un claquement, une secousse d’implosion, la spirale se ferme pour ouvrir par-derrière : dans ce balancement, se réenclenche la mécanique admettant, une infime fraction de temps, un phénomène ailleurs banni par la nature. J’ai cru un court moment d’enfance que toutes les côtes, tous les endroits du monde où la mer et la terre se touchent, donnaient à voir ce mouvement, ce désordre et cet ordre effrontés, ces éclats de vide en permanence dans la matière. Mais il n’existe que peu de spots, dans le monde (Biarritz, Hawaii, Brisbane, AdAkhl’youn). Les surfeurs appellent spots ces endroits du monde om le vide se manifeste en tube d’eau ; où l’absence de matière est visible dans la mer, par la forme en creux. Les spots sont finalement des tâches à la surface du monde, des trous, des absences, où se constate le jeu de la charnière.

Marie Darrieussecq, Précision sur les vagues, Paris, Minuit, 2008, pp.5-6.

Maylis de Kerangal, Réparer les vivants

Bras qui repose mais jambes qui dirigent, mains accrochées aux rails du surf et torse légèrement relevé, menton haut, Simon Libres flotte. Il attend. Tout fluctue autour de lui, des pans entiers de mer et de ciel surgissent et disparaissent dans chaque remous de la surface lente, lourde, ligneuse, une pâte basaltique. L’aube abrasive brûle son visage et sa peau se tend, ses cils se durcissent comme des fils de vinyle, les cristallins derrière ses pupilles se givrent comme si oubliés dans le fond d’un freezer et son cœur commence à ralentir, réagissant au froid, quand soudaine il la voit venir, il la voit qui s’avance, ferme et homogène, la vague, la promesse, et d’instinct se place pour en trouver l’entrée et s’y infiltrer, s’y glisse comme un bandit se glisse dans un coffre pour en braquer le trésor – même cagoule, même précision millimétrée du geste –, pour s’insérer dans son envers,  dans cette torsion de la matière où le dedans s’éprouve plus vaste et plus profond encore que le dehors, elle est là, à trente mètres, elle approche à vitesse constante, et brusquement, concentrant son énergie dans ses avant-bras, Simon s’élance et rame de toutes ses forces, afin de prendre la vague de vitesse justement, afin d’être pris dans sa pente, et maintenant c’est le take off, phase ultrarapide où le monde entier se concentre et se précipite, flash temporel où il faut inhaler fort, couper toute respiration et rassemble son corps en une seule action, lui donner l’impulsion verticale qui le dressera sur la planche, pieds bien écartés, le gauche en avant, regular, jambes fléchies et dos plat quasiment parallèle au surf, bras ouvert stabilisant l’ensemble, et cette seconde-là est décidément celle que Simon préfère, celle qui lui permet de ressaisir en un tout l’éclatement de son existence, et de se concilier les éléments, de s’incorporait au vivant, et une fois debout sur le surf – on estime en cet instant la hauteur crête à creux à plus d’un mètre cinquante –, étirer l’espace, allonger le temps, jusqu’au bout de la course épuiser l ‘énergie de chaque atome de mer. Devenir déferlement, devenir vague.

Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, Paris, Gallimard Verticales, 2014, pp.21-22.

Kirsin Gunn, Le garçon et la mer

Et la voilà, cette vague longtemps attendue, attendue des heures, des jours, prédite par le climat, par les étoiles nocturnes, la voilà enfin, arrivée d’on ne sait où, comme d’un autre monde. C’est ce que pensait Ward, non, c’est bien ce que j’ai écrit ? Une eau comme venue d’une mystérieuse partie du monde, voilà ce que Ward a vu, non, quand il est ressorti cet après-midi. A présent il est debout sur la planche et il surfe (…) jamais il n’a surfé une houle aussi grosse, comme si elle était formée de toutes les vagues, de toutes les rivières, de tous les océans et de toutes les mers… Tous les étés, tous les soleils qui n’ont jamais brillé au firmament, tous les soleils des jours, se trouvent dans la chaleur qui tombe sur le dos du garçon.

Kirsin Gunn, Le garçon et la mer, Paris, Point, 2008, pp.139-140.

@Aurore Turpinat

par Emmanuelle Becquemin


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