Projet de recherche

GHILDE

Un projet de recherche d’Émilie Perotto

Depuis sa thèse de doctorat (2016) qui définissait la situation sculpturale en postulant que la pratique de la sculpture pouvait s’envisager comme une situation faite de relations entre des objets, des corps et des espaces, Émilie Perotto développe une recherche, intitulée “Sculpture Industrielle” (au sein de l’équipe de recherche Spacetelling de l’Ésad Saint-Étienne), qui interroge la sculpture comme outil de relation et de narration des corps et des espaces politiques.

Avec le projet GHILDE, mené au sein du BTP CFA de la Loire avec deux apprentis plombiers (Elouan Didier et Dimitri Massacrier) et leur formateur (Jean-Pierre Berthollet), elle pose l’hypothèse que la production d’une sculpture, via l’apprentissage des gestes de savoir-faire techniques, peut être un outil de transmission pédagogique et historique, ainsi qu’un objet de mémoire d’un patrimoine voué à disparaître.

Sculpture IndustrielleÀ propos de ce blog

Sculpture industrielle est un axe de recherche mené par Émilie Perotto au sein du laboratoire de recherche Spacetelling.

Sculpture Industrielle invite des étudiant·e·s, technicien·ne·s et professeur·e·s de l'Esadse à partager, enrichir et mettre en jeu leur culture du ma·pa·trimoine industriel, de l'échelle locale à l'échelle internationale. Cela peut se faire à travers des visites de sites, mais aussi par des projets développés en relation avec des entreprises.

Le blog de Sculpture Industrielle partage des expériences et des savoirs, récoltés lors de nos rencontres et de nos pérégrinations.


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MenuSculpture Industrielle

par Émilie Perotto

Émilie Perotto cherche des façons de faire sculpture en s’insérant dans des lieux où des objets sont produits, comme des entreprises ou des lieux d’apprentissage technique (lycées professionnels, centre de formation). Dans ces contextes, elle expérimente la mise en sculpture de moyens de transmission et de production. Un des enjeux de ces expérimentations est de décaler les modes de production habituels de ces structures.

GHILDE, maquette ©ÉmiliePerotto

Pour s’insérer au mieux dans les milieux d’apprentissage professionnel, elle a mis peu à peu au point une méthode qui consiste à d’abord prendre connaissance en détail du métier ciblé, puis du “référentiel métier” du diplôme auquel prétendent les apprentis, avant d’envisager une forme.

C’est à partir de ce que les élèves ou apprentis doivent acquérir lors de leur formation, qu’elle commence à ébaucher une forme. Dans le cas du projet GHILDE, elle a maquetté une sculpture à partir des différents assemblages que les apprentis plombiers doivent maîtriser en 1ère année de Brevet Professionnel, qui met en œuvre un circuit de tuyauterie complexe. La forme de cette sculpture est la mise en volume et en réseau des lettres G H I L D E, c’est à dire “ghilde”, manière peu répandue d’orthographier le mot “guilde”, qui désignait, au moyen-âge, une association ou une coopération de personnes pratiquant une activité commune, notamment le commerce ou l’artisanat1

L’enjeu de la sculpture GHILDE était de mettre en jeu des gestes techniques qui doivent être appris, mais aussi des espaces d’interprétation où les apprentis proposent différentes solutions, qui peuvent devenir des défis techniques enthousiasmants et faisables. La maquette, dont elle a ensuite réalisé les dessins techniques, était un objet de relation et de discussion avec les apprentis (Elouan Didier et Dimitri Massacrier) et leur formateur (Jean-Pierre Berthollet). Néanmoins, dès le début du projet, il a été évident pour le groupe que la sculpture serait réalisée en métaux, et que les tubes PVC ou multi-couches, seraient mis de côté, ce qui semble être un contre-sens au vu de la réalité du métier aujourd’hui. Cette décision, de prime abord intuitive, a révélé la volonté commune de travailler à une sculpture qui transmettrait des gestes et des savoir-faire voués à disparaître. En effet, l’acidité toujours grandissante des eaux, due en partie aux nitrates de l’agro-industrie qui s’introduisent dans les nappes phréatiques, attaque aujourd’hui bien trop les métaux pour qu’ils restent performants dans le temps. Cela amène à remplacer les canalisations de cuivre par des tubes PVC ou tubes multicouches, qui sont par ailleurs moins coûteux et plus rapides à poser. Les canalisations en acier sont quant à elles également de moins en moins utilisées au profit du PVC, car il s’y créent des phénomènes de pile, qui fragilisent les équipements de nouvelle génération, comme les chaudières. Cela dit, ces canalisations PVC engagent peu de savoir-faire d’assemblage, et les apprentis préfèrent dédier leur temps d’atelier au CFA au travail des métaux, plus intéressant à mettre en forme, et plus valorisant. De plus, même si cela semble contradictoire avec les réalités du métiers, les entreprises insistent pour que les savoir-faire liés aux métaux continuent à être enseignés en CFA, et évalués lors des Contrôles en Cours de Formation.  

Comme GHILDE correspond aux attendus de la 1ère année de Brevet Professionnel, le formateur a décidé d’évaluer les deux apprentis sur ce travail, et de ne pas leur faire réaliser les ouvrages du programme pédagogique. Ainsi, la matière utilisée pour la sculpture n’est pas en supplément de celle qui aurait servi pour leur apprentissage.

Aussi, les ouvrages des apprentis ne pouvant être vendus (selon la loi, il s’agirait de concurrence avec les entreprises finançant en partie les CFA), ils sont systématiquement destinés, dès qu’ils sont évalués, à la benne de matériau, qui va être recyclée par une entreprise spécialisée.

GHILDE échappe à cela. Transformer les gestes d’apprentissage en la matière qu’ils changent en sculpture, évacue la sculpture du circuit habituel d’élimination. Celle-ci se trouve investie par les apprentis comme un objet-manifeste de leur métier, objet-mémoire et de transmission de différents savoir-faire emblématiques. Pour la réaliser, ils ont effectué des gestes pratiqués par des générations de plombiers les ayant précédés. Leurs gestes « concrétionnent » dans la sculpture transgénérationnelle des temps et des espaces.

©ÉmiliePerotto
©ÉmiliePerotto
©ÉmiliePerotto
©ÉmiliePerotto
©ÉmiliePerotto
©ÉmiliePerotto

La sculpture, dont l’ensemble des tubes communique, incarne un tout-relation entre ÉP, le formateur, les deux apprentis, et toutes les personnes qui ont participé à son existence, des chefs d’entreprise qui ont donné du temps supplémentaire aux apprentis au CFA pour le projet, à la direction de l’établissement, en passant par la formatrice en menuiserie qui a mis en contact ÉP et le formateur en plomberie, etc…. ÉP, en tant qu’artiste, n’est pas la seule responsable de la sculpture. Comme l’a écrit l’artiste Siah Armajani, dans son MANIFESTE. La sculpture publique dans le contexte de la démocratie américaine : “la sculpture publique est une production coopérative. D’autres acteurs, en plus de l’artiste, partagent la responsabilité du travail. Accorder tout le crédit au seul artiste est trompeur et faux2.” Avec GHILDE, la sculpture s’investit pleinement comme un outil fonctionnel au service de la société.

GHILDE ©ÉmiliePerotto

Une version plus longue de ce texte existe.
Plus d’informations : emilie.perotto(at)esadse.fr

GHILDE sera exposée à l’occasion de l’exposition AD•Rec 2025, Faire, encore au sein de la Biennale internationale de design de Saint-Étienne 2025.

Merci
à Elouan Didier, Dimitri Massacrier, Jean-Pierre Berthollet, la direction du BTP CFA Loire,
et aux entreprises Oriol et Villard & Chaury.

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1Pourquoi le mot “GHILDE” ?
Au sein de “Sculpture Industrielle”, Émilie Perotto et Arthur Benyaya Cazorla (alumni ACDC_espaces 2022, artiste designer chercheur) mènent une investigation - titré “Ill Communication” - sur les modes de communication tangibles. Leurs discussions s’incarnent dans des objets qu’iels s’adressent, entre échanges de ping-pong et méthode de cadavre exquis. Ainsi, après que pour commencer l’expérimentation ÉP ait posté à Arthur Benyaya Cazorla le livre A.B.C contre Poirot d’Agatha Christie, Arthur Benyaya Cazorla a réalisé une édition de pages de dictionnaires concernant uniquement les mots commençant par DEF. ÉP a décidé de répondre en amorçant une sculpture avec les lettres GHI. Le seul mot de la langue française débutant par ces trois lettres est “ghilde”. Son sens semblait opportun dans le contexte de “Sculpture Industrielle”.
2Siah Armajani, MANIFESTE. La sculpture publique dans le contexte de la démocratie américaine, écrit en 1968-1978, révisé en 1993, en ligne sur le site du MAMCO : https://archive.mamco.ch/expositions/encours/Siah_Armajani.html
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