« On n’invente pas les mondes, on les compose. » nous apprend
l’anthropologue Philippe Descola. Ce projet explore la filière des laines
oubliées, issues des élevages français et européens.
Aujourd’hui, la laine est produite lors de la tonte des moutons —
6000 tonnes en France chaque année — mais elle n’est pas valorisée.
L’industrie textile, ancien débouché principal pour cette fibre, s’est
structurée autour de la laine de moutons mérinos d’Australie et de Nouvelle-Zélande
et a mis de côté les laines des races élevées en Europe.
À travers une enquête sur les divers usages de la laine, les systèmes de
transformations, les acteurs impliqués, des problématiques propres à cette
matière sont identifiés. La rencontre d’éleveurs, de tondeurs, d’une trieuse de
laine et de maraichers alimente des propositions d’objets qui activeraient de
nouveaux réseaux lainiers.
Ces objets — une étiquette, un tissage de paillage et des panneaux
d’isolation — sont des démonstrateurs du potentiel de cette matière.
Il ne s’agit pas seulement d’un potentiel technique, mais aussi un
potentiel sociétal, écologique et systémique.
Les panneaux d’isolation en laine brute, appelée « laine en suint »
trouvent un usage à l’échelle hyperlocale.
Ils isolent du froid des bâtiments agricoles, tels que les poulaillers
(courants dans les exploitations basées sur le modèle polyculture/élevage). Ces
panneaux sont conçus pour être fabriqués par les éleveurs eux-mêmes, qui
souvent réalisent la construction de ce type de bâtiments.
Le tissage de paillage, utilisé pour le maraichage est réalisé, lui aussi,
à partir de laine brute.
De la même façon que le fumier des élevages est récupéré pour fertiliser
les champs céréaliers, la laine peut être utilisée pour pailler les sols du
maraicher grâce à sa capacité de rétention d’humidité.
L’application du matériau qui est envisagée est à l’échelle locale. Cette
laine, considérée comme un déchet dans les lieux d’élevage, pourrait trouver un
usage à proximité de ces derniers.
Le dernier objet, l’étiquette, est placé sur des fibres transformées.
Elles sont lavées, cardées, filées, tissées et confectionnées. Pour mettre en
valeur ce travail de transformation, une étiquette explique avec précision le
chemin parcouru par la laine. Ce projet peut s’inscrire à une échelle plus
large que les deux précédents : nationale, voire internationale.
Cette étiquette nous montre que la valeur de cette matière réside aussi
dans l’histoire qu’elle raconte. Cet objet nous invite à changer de regard sur
les objets textiles, à désirer qu’ils portent en eux des récits voire à
politiser nos habits.
© Fabrice Roure