DNSEP Art

Baptistin Lebraud

Notes pour Occhio

Le douze Février deux mille vingt-trois, Lupin Brudet s'est donné la mort. Il avait vingt-huit ans, et sa vie, bien que courte, fut jonchée de multiples expériences de vie et d'art. Il fut le plus grand des amis. Il nous laissera un grand vide, ainsi que ce qui lui tenait le plus à cœur: des textes épars, des vidéos en vrac sur un disque dur et deux ouvrages. L'un achevé : Digérer : le système de la machine organique, l'autre inachevé : Occhio.    

Au mois de Mars suivant le décès de Lupin, je fus convoqué chez le notaire. Je découvris qu'il m'avait laissé une missive :   

Baptistin,    

Je te laisse – lègue – mes écrits ainsi que mes vidéos. Sers-toi de mon amas textuel comme tu aimes le faire : Pille-le. Je ne te demande qu'une seule chose : honore la proposition que tu m'as faite il y a quelques années : publie mes textes lorsque ta maison d'édition verra le jour. Deux livres me sont important : Digérer, et Occhio, qui n'est pas encore terminé et qui ressemble plus à un palimpseste, multiplié par lui-même dans un kaléidoscope géant, qu'à un roman. Quant à mon geste, n'en sois pas blessé – il est inévitable.    

Pour toujours tien,    

— Lupin B. 



De cet événement tragique et de ces amas textes/vidéos est tirée l'installation intermédiale Notes pour Occhio
Au travers des liens se tissant entre les médiums de la vidéo, de la sculpture, et de l'écriture, elle dresse son portrait en explorant les thèmes du corps, de la mémoire, et de la porosité entre fiction et réalité. 
Dans un espace, vide de corps IRL, où tournent en boucle des appareils machiniques et écraniques, des stèles, sortes de pierres levées, se tiennent dressées au centre de l'installation. Sur leurs surfaces sont projetées des vidéos de corps intime, retaillées par les outils de découpe caméra et de montage, tissant une peau numérique qui vient animer la pierre dans un écho au mythe de Deucalion et Pyrrha. 
Autour de ces stèles, sont disposés des écrans fixés à des panneaux noirs, sortes de reliquaires invitant au recueillement devant les souvenirs d'un disparu. Tournent en boucle sur ces écrans des vidéos d'archives de Lupin Brudet, retournées à la webcam dans une ultime digestion du deuil et de l'image. On y voit une juxtaposition de corps vivant et de corps inertes, liés ensemble dans une image dégradée, où le pixel devient un carré de chair du corps vidéal numérique. 
Le regardeur en entrant dans la pièce obscure est invité par l'espace à une déambulation cyclique, dans un rappel du rituel, celui qui suit l'être humain au quotidien, scandé par une phrase tournant en boucle : Nos rituels sont une mise en mouvement, de nos corps, nos esprits, dans cet espace statique. 


Idée semblant central dans les textes de Lupin Brudet qui étaient regroupés dans le projet romanesque Occhio. Textes que nous retrouvons compilés dans le livret mis à disposition à l'entrée de l'installation, constitué en entrelardage entre deux textes : ceux de Lupin Brudet ainsi que le récit du chemin de la reconstitution de son projet. 
Les vidéos, les stèles et le texte sont pensés de concert, dans une tentative d'exploration de la limite poreuse entre un texte et un objet plastique, dans une tentative de création d'un texte hors-texte plastique.    

Baptistin Lebraud      

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 © Fabrice Roure


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