Jeanne TROADEC

"Donnez-moi un itinéraire pour me perdre", écrivait Marguerite Duras. Cette phrase anime ma démarche. Je collecte formes, images, objets, symboles. Je les scanne, les conserve, les détourne de leur usage premier pour questionner leur essence.

Un jour, dans une réserve, j’ai découvert des formes emballées, silencieuses. J’ai imaginé ce qu’elles pouvaient contenir. Ce moment a résonné avec mon mémoire sur le tiroir, espace liminal à la fois intime et public, structuré mais chaotique, où s’entassent récits et fragments d’histoires. De là, j’ai poursuivi ma recherche autour de la collection, du stockage, de l’objet intime et de son potentiel narratif.

Comme le disait Daniel Spoerri : "C’est la confrontation des objets entre eux qui donne l’histoire". Mon travail tente de réactiver les objets, de leur rendre leur capacité d’évocation. Les pièces de mon diplôme interrogent l’usage, pour développer un récit subjectif. Certaines ressemblent à des emballages, comme en attente d’activation. Je les ai installées dans un box de stockage : lieu de passage entre privé et public, intime et normé, presque déshumanisé. Ce choix oppose le stockage économique, figé et anonyme, au stockage sensible, où l’objet reprend vie par son agencement, son insertion spatiale et la présence du spectateur, transformant le box en un espace d’exposition.

Lors d’un stage au Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne, j’ai fabriqué des boîtes de conservation d’œuvres pour mes pièces de diplôme, et réfléchi au rôle du régisseur, non plus comme simple technicien, mais comme collaborateur de l’œuvre. La boîte n’est plus seulement le contenant, mais peut-être l’œuvre elle-même. Elle s’ouvre, se déploie : un éventaire involontaire.

J’ai identifié quatre étapes dans le parcours d’un·e artiste : fabrication, exposition, vente et stockage. Mon installation les bouscule : elle saute l’exposition tout en la déplaçant. Le spectateur entre dans un espace d’entreposage devenu dispositif d’exposition, qui interroge nos manières de collectionner, classer, produire et oublier.


Instagram : @jeannetroadec
@Photographies par Alexandre Beltrand