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Pour une vision plus « fluide » du design

Livres à partager : entretien avec Penny Sparke

par Helene Fromen

Penny Sparke, co-commissaire avec Jana Scholze et Catharine Rossi de l’exposition At home de la Biennale 2022.

Penny Sparke nous montre qu’une autre histoire des objets et des espaces domestiques est possible : pour la raconter, il s’agit de porter un autre regard.

Penny Sparke est historienne du design et enseignante à l’université de Kingston (Londres). Pendant près de 20 ans elle a enseigné puis dirigé le programme d’histoire de design géré par le Royal College of Art de Londres et le Victoria & Albert Museum. Elle est commissaire de nombreuses expositions et l’autrice de plus d’une douzaine d’ouvrages sur le design moderne dont An introduction to Design and Culture in the 20th century (1986) ou encore The Modern Interior (2008). Elle est également l’autrice de As Long as It’s Pink: The Sexual Politics of Taste, paru en 1995 à propos duquel nous avons engagé cet entretien.1

Le titre de votre livre, As Long as It’s Pink: The Sexual Politics of Taste, évoque la codification genrée des objets, en particulier par la couleur. Comment analysez-vous l’impact ou la relation du design, notamment à travers les objets produits, sur/avec les normes sociales ?

Mon livre de 1995 se concentre sur la manière dont nous pouvons voir le design à travers un prisme sexué.  En particulier, la manière dont l’histoire du design a été racontée. Alors que le récit masculin s’est concentré sur la production, la technologie et le style, l’histoire féminine du design moderne se concentre sur la consommation, la domesticité et le goût. Jusqu’ici, celle-ci n’était pas racontée : mon livre retrace ce nouveau récit du XIXe siècle à la fin du XXe siècle à travers des objets situés dans leur contexte socioculturel. Le livre apporte ainsi un récit jusque là « oublié de l’histoire », en quelque sorte.  

Linda Nochlin a argumenté en 1971 « Pourquoi n’y a t’il pas eu de grandes artistes femmes » en mettant en lumière en particulier les facteurs socio-historiques. Peut-on faire une analyse similaire pour les femmes designers ?2

Oui, je pense que c’est exactement le même argument, bien que je sois plus intéressée par la compréhension du design d’un point de vue féminin que par la revalorisation des femmes designers oubliées, bien que ce travail doive aussi être fait.

Peut-on parler aujourd’hui d’un design « genderfluid » ou « genderless », qui perturbe les stéréotypes de genre – plutôt que de les renforcer ?

Mon livre de 1995 a été écrit pour compenser un déséquilibre qui existait dans la plupart des discussions universitaires sur le design et son histoire. Je pense que l’équilibre a été rétabli dans une large mesure au cours des années écoulées et que, si des designs ouvertement genrés sont encore produits, nous vivons à une époque où les caractéristiques et les valeurs liées au genre circulent beaucoup plus librement. 

L’intérêt pour le design durable, environnemental et social, entre autres tendances récentes, témoignent de la nouvelle fluidité du design.

Penny Sparke

Vous êtes co-commissaire de l’exposition At home à la Biennale de 2022, dont le thème sera les bifurcations. Quelles sont les principales bifurcations que vous envisagez pour sortir du modernisme que vous associez à une vision masculine du design et de la production ?

Les nouvelles approches du design que j’ai mentionnées ci-dessus, qui ont émergé au cours de ce siècle, témoignent d’une réaction (ou bifurcation) à la domination antérieure du modernisme masculin.

Ces démarches seront toutes présentées dans la prochaine exposition de la Biennale, At Home, dont je suis la commissaire avec deux collègues Jana Scholze et Catharine Rossi.

L’exposition At home montrera ce que « la maison » a représenté dans le passé, ce qu’elle représente aujourd’hui et comment les architectes et designers y travaillent. À travers des images, des films, des objets en 3D et des installations, At home offrira aux visiteurs un aperçu du défi que représente l’ambition de bifurquer « à la maison ».

À paraître le 5 avril 2022: Politique sexuelle du goût. As long as it’s pink. Penny Sparke, traduction de l’anglais par Antoine Cazé, Postface inédite de Penny Sparke, introduction de Laurence Mauderli, éditions T&P Publishing.

par Helene Fromen

1L’entretien s’est tenu en anglais par e-mail. La traduction en français est de Hélène Fromen.
2ARTnews a republié ici le texte de Linda Nochlin, Why have there been no great women artistsinitialement paru dans le numéro de Janvier 1971 de la revue.

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