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Composite

Revue Azimuts - Design Art Recherche / Date limite : 01.06.2024

par Sandra Jacquier

Azimuts Design Art Recherche 60

La revue Azimuts | Design Art Recherche consacrera son numéro 60, à paraître à l'automne 2025, au composite comme pratique matérielle et discursive qui (re)configure nos mondes. 

Le numéro 60 de la revue « Azimuts | Design Art Recherche » est porté par l’équipe de recherche « Spacetelling ― espaces, narrations et corps politiques » de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne. Fondé par Emmanuelle Becquemin, Simone Fehlinger, Ernesto Oroza et Émilie Perotto en 2023, Spacetelling analyse et expérimente les récits matériels et immatériels qui désignent nos réalités.

Thématique

Avec AZ 60, Spacetelling invite à explorer le composite comme pratique matérielle et discursive qui (re)configure nos mondes. L’anthropologue Arturo Escobar, s’appuyant sur le concept du « sentir-penser » (développé par le sociologue Orlando Fals Borda en 1986), écrit qu’« il y a tout un monde, qui s'énacte minute par minute, au travers d'une infinité de pratiques qui relient une multiplicité d'humains et de non-humains. [...] Il y a de nombreuses manières d'exprimer la relationnalité. »1Témoignant du fait que tout est relation, les designers comme les artistes expérimentent des manières de faire et de défaire ― de ré-agencer. Le « Tout-monde »2 est composite.  

AZ 60 se questionne sur la manière dont les créateur·ice·s pratiquent, montrent ou performent ces relations. AZ 60 donne la voix aux manières de composer et d’habiter des mondes qui constituent « un plurivers, à savoir un ensemble de monde en connexion partielle les uns avec les autres, [...] où les mondes s'entremêlent, se co-produisent et s'affectent les uns les autres par le biais de connexions partielles, sans jamais se réduire à la somme de leurs interactions. »3

AZ 60 se veut à la fois espace et outil pour engager la discussion sur le « composite » afin de provoquer de nouvelles constellations.
AZ 60 cherche ainsi des contributions qui explorent le composite comme
- formes artistiques et de design,
- méthodologies et pratiques de recherche,
- concepts théoriques.

Qu’est ce qui constitue le composite ?

Reliquaire, Barque, Rikimbili, Images composites ― quelques portes d’entrées sur le composite

La notion de composite peut être exemplifiée par le reliquaire de Sainte Foy (Aveyron, France, IXe - XIVe siècle). En effet, sa conception même part de l’idée de réaliser, à partir d’une tête en or antique déjà existante, un corps en bois d’if assis sur un trône recouvert d’or, afin de conserver le crâne de Sainte Foy. Trois éléments de nature et de matière hétérogène sont agrégés en une figuration anthropomorphe en volume, qui concrétise une pensée composite du culte, affirmant - non une rupture - mais une relation enchevêtrée entre paganisme et chrétienté. Outre cet assemblage osé, les savoir-faire d'orfèvrerie que le reliquaire met en exergue proviennent également d’origines variées. En effet, la statue rappelle plastiquement la Couronne votive de Réceswinthe, ouvrage wisigoth du VIIe siècle, qui conjugue inspirations ibériques et byzantines et techniques d’incrustation germaniques. La célèbre restauration de 1954-55 du reliquaire mené par Jean Talaron4 a permis de synthétiser les nombreuses modifications qu’il a subi de sa réalisation première jusqu’au XIVe siècle. Ces modifications ont été liées à des arrachements certainement dûs à des vols, mais aussi à des embellissements provenant de dons (entre autres de nombreux joyaux royaux ou impériaux). Le démontage du reliquaire a permis d’observer nettement les éléments qui n’y étaient pas destinés mais qui ont été adaptés pour y prendre place, comme les bandes en or incrustées qui agrémentent le bas du vêtement et les manches, ou la couronne ; mais également d’autres fragments provenant de reliquaires ruinés. Le reliquaire de Sainte Foy est donc un conglomérat organisé d’éléments provenant de cultures, de territoires et d’époques différentes. Il rassemble de façon tangible des extraits d’espaces et de temps qu’il serait possible de désolidariser afin de réparer, augmenter ou construire autre chose. Si le reliquaire de Sainte Foy est un bon exemple de l’idée de composite, il montre que le composite a avoir - comme en rétro-ingénierie - avec le fait de pouvoir identifier de quoi les objets sont les résultats : de quels matériaux, de quelles techniques de mises en forme, de quelles formes standardisées par leurs outils de production, et de quels gestes d’assemblages, elles résultent. Le composite rend lisible ce qui le constitue et comment. Il a également avoir avec la promesse, la potentialité que contient chacun de ses fragments.

A cet égard, le travail que développe Simon Starling n’est que variations, à la manière d’une partition de musique, sur le composite. L’artiste use des objets pour mettre en exergue comment ceux-ci fabriquent des mondes.
Il invente des dispositifs, souvent mis en jeu dans des trajets-performances, qui révèlent les relations entre espace, temps, histoire et culture. Les matériaux sont rendus à leur statut de fragments, d’éléments uniques qu’il dé-pièce pour les re-composer et tisser un nouveau récit. Ainsi, dans Work, Made Ready (1997), Starling opère une mutation des formes entre la chaise Eames et le VTT Sausalito, deux emblèmes du design pour les transmuer l’un en l’autre. Le métal de l’un est fondu pour fabriquer la structure de l’autre. Et vice et versa.  Dans la pièce Shedboatshed (2005), un abri en bois qui a probablement servi de lieu de stockage de barques, est démonté pour produire une nouvelle forme, un bateau à fond plat : grâce à celui-ci, l’artiste peut descendre le Rhin et transporter avec lui les planches de bois de l’architecture démontée jusqu’à un musée où est reconstruit à l’identique l’abri. L’objet architectural est détourné, puis recyclé en un autre objet jusqu’à ce que le but soit atteint et que l’artiste détourne le nouvel objet pour lui faire retrouver finalement retrouver sa forme première. Un jeu de bricolage en boucle qui dépasse le ready-made duchampien. Un détournement des formes et des fonctions à l’œuvre où s’opèrent des enjeux de recyclage, de circulation, de fragmentations, de re-compositions. Starling pratique un art de la « métamorphologie ».5 Il trans-forme : les formes se fondent, se déconstruisent, se recyclent et par cette métamorphose révèlent des nouvelles pratiques, de nouveaux usages, de nouveaux récits : un processus qui met en jeu les cycles, les déplacements, les transformations où tout se relie, se remodèle, se reconfigure ad vitam aeternam.

Comme Starling, les Cubain·e·s associent leur vélo à d'autres objets pour répondre à leurs besoins de transport. Les gens appelaient ces composites « rikimbilis ». Le gouvernement, dans une tentative de traduction juridique, les appelait VAP : véhicules assemblés à partir de pièces et de morceaux. Mais décrire, c'est transformer6, et le VAP peut aujourd'hui désigner une multiplicité d'assemblages. Un rikimbili aujourd'hui peut être le croisement de chaises d'école, de signaux de circulation, de moteurs de tronçonneuses, des fenêtres de l'autobus. Les rikimbilis sont des arrangements en réédition permanente, à la merci des besoins et des aléas économiques et juridiques de l'île. En essayant de l'adapter aux changements sociaux, le rikimbili finit par fonctionner comme une machine qui attire et expulse des pièces et des morceaux, comme si ce montage et ce démontage continuels, comme les mouvements centrifuges et centripètes, étaient sa force motrice. « La relation est mouvement »7. En espagnol, relatar est synonyme de narrer, c'est raconter dans le sens de mettre en relation. Étymologiquement, il s'agit de porter des faits à la connaissance de quelqu'un. Un rikimbili est un relato, un artefact qui comporte des parties et des pièces. Le fabricant de rikimbili fonctionne comme un rhapsode, qui déclame des vers articulés à partir de fragments d'histoires qu'il a recueillis au cours de sa vie nomade. Chaque fois, il réarrange le contenu pour répondre aux demandes de l'auditoire. Le rythme, parfois renforcé par des coups de bâton sur le sol, permet à ces arrangements improvisés d'avoir un sens. Le rythme sépare et unit les parties. Deleuze dirait « Le rythme c’est une notion commune à deux bords au moins. » Le rikimbili peut alors être imaginé comme un archipel, un ensemble d'îles (parties) unies par ce qui les sépare.  

Le composite peut être « mean ». « Mean » comme « moyenne » ou « moyen », « méchant », « minable » ou « ordinaire », « signifiant », la « norme ». Avec ce terme anglais composite « qui brouille et superpose des couches de signification apparemment incompatibles » [notre traduction], l’artiste et chercheuse Hito Steyerl décrit ainsi une nouvelle génération de visuels produites par des générateurs d'IA texte à image.8 En utilisant des bases de données où des « ghost workers » ont auparavant analysé des contenus violents stockés dans des data centers polluants, des algorithmes entraînées produisent des images qui ne (re)présentent pas des objets réels, mais qui calculent des objets à partir des statistiques, des paramètres liés au marché et des déchets numériques. Réactualisent des photographies composites eugénistes de Francis Galton, elles visualisent ainsi des idéologies culturelles intermédiaires accumulées par une société en ligne, où les extrêmes ― non vivables et discriminants ― sont devenus la norme. Processus opaques, ces images « sautent la médiation pour faire un geste vers une fausse immanence » [notre traduction] où une réalité abstraite se veut authentique.9   L’invisibilité et l’immédiateté définissent par ailleurs les médias : « Les médias font naître quelque chose, ils s'effacent eux-mêmes à l'arrière-plan ; les médias permettent de visualiser quelque chose, tout en restant invisibles. [...] seuls le bruit, les dysfonctionnements et les perturbations rendent le médium lui-même perceptible » [notre traduction], note la philosophe Sybille Krämer.10 Si la basse résolution des « mean images » indique encore leur caractère artificiel et construit, les « images composites » ou des « compositions colorées » du Centre de météorologie spatiale de Météo-France dissimulent de nombreuses chaînes de traduction.11 L’observation globale et permanente de notre planète est une composition de plusieurs images et couches ― de fait des lignes de codes ― captées, transmises et soigneusement retravaillées afin d’exposer le récit moderne d’un univers cohérent et homogène.     

À l’aune de ces quelques exemples, AZ 60 souhaite rendre compte des narrations, créées par les artistes et les designers, qui matérialisent le composite afin de faire surgir l’existence des plurivers.


Modalités de soumission


Les résumés des propositions de contribution doivent être envoyés avant le 01.06.2024

Les propositions doivent comporter un titre, le prénom et le NOM de l'auteur.ice ainsi que quelques lignes de présentation (biographie (qualité, rattachement institutionnel ou lieu d'exercice de la profession) et une ou deux références bibliographiques propres à l'auteur).

Le dépôt se fait via : azimuts.contribution@esadse.fr avec l’objet « Azimuts-contribution n°60 »
- Format du fichier : .doc, .pdf
- Intitulé du fichier : « nom de l’auteur·ice_ AZ60 »

L’iconographie éventuelle doit être envoyée via la même adresse mail.

Pour l’appel à contribution, la taille du résumé demandé est de 2 000 signes pour des textes finaux d’une taille de 8 000 à 15 000 signes.

En parallèle pour le bon suivi de votre dépôt nous vous remercions de compléter le formulaire.Formulaire

Premier retour aux contributeur·ice·s : 24 juin 2024

Suivi éditorial par l’éditeur·ice : septembre-décembre 2024

Les textes acceptés seront à rendre terminés (texte + iconographie éventuelle) au plus tard le 15/12/2024:
- en cas de texte : entre 8 000 et 15 000 signes maximum,
- en cas de contribution essentiellement visuelle : entre 1 et 8 pages format 22 cm de haut par 16.5 cm de large.

Date de parution du numéro :
automne 2025


Pour toute question et information complémentaire, merci d’utiliser la même adresse mail que pour l’envoi des propositions : azimuts.contribution@esadse.fr

AzimutsRevue Design Art Recherche
Édition
SpacetellingEspaces, narrations et corps politiques

par Sandra Jacquier

1Arturo Escobar, Sentir-penser avec la Terre. L'écologie au-delà de l'Occident. Éditions du Seuil, Paris, 2018. p. 121
2Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde (Poétique IV), Gallimard, Paris, 1997.
3Arturo Escobar, Sentir-penser avec la Terre. L'écologie au-delà de l'Occident. Éditions du Seuil, Paris, 2018. p. 154
4Taralon Jean, Taralon-Carlini Dominique. La Majesté d'or de Sainte Foy de Conques. In: Bulletin Monumental, tome 155, n°1, année 1997. pp. 11-73 https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1997_num_155_1_872
5Titre de l’exposition de 2014 organisée par le MAC de Chicago et l’Arts Club of Chicago.
6Edouard Glissant, Le Discours Antillais, Folio Essais, Gallimard, Paris, 1997. n.p.
7Édouard Glissant, Poétique de la relation (Poétique III), Gallimard, Paris, 1990, p 186.
8Hito Steyerl, Mean Images, NLR 140/141, MAR/JUNE 2023. Repéré à :  https://newleftreview.org/issues/ii140/articles/hito-steyerl-mean-images
9Hito Steyerl, Mean Images, NLR 140/141, MAR/JUNE 2023. Repéré à :  https://newleftreview.org/issues/ii140/articles/hito-steyerl-mean-images
10Sybille Krämer, Medium, Messenger, Transmission. An Approach to Media Philosophy. Amsterdam University Press, 2015, p. 31.
11Voir : CMS Météo-France, Composition colorée METEOSAT-10 : http://www.meteo-spatiale.fr/src/accueil.php seulement sur le site de l'école

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