La revue Azimuts | Design Art Recherche consacrera son numéro 60, à paraître à l'automne 2025, au composite comme pratique matérielle et discursive qui (re)configure nos mondes.
Le numéro 60 de la revue « Azimuts | Design Art Recherche » est porté par l’équipe de recherche « Spacetelling ― espaces, narrations et corps politiques » de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne. Fondé par Emmanuelle Becquemin, Simone Fehlinger, Ernesto Oroza et Émilie Perotto en 2023, Spacetelling analyse et expérimente les récits matériels et immatériels qui désignent nos réalités.
Avec AZ 60, Spacetelling invite à explorer le composite comme pratique
matérielle et discursive qui (re)configure nos mondes. L’anthropologue Arturo
Escobar, s’appuyant sur le concept du « sentir-penser » (développé par le
sociologue Orlando Fals Borda en 1986), écrit qu’« il y a tout un monde, qui
s'énacte minute par minute, au travers d'une infinité de pratiques qui relient
une multiplicité d'humains et de non-humains. [...] Il y a de nombreuses
manières d'exprimer la relationnalité. »1Témoignant du fait que tout est relation, les designers comme les artistes
expérimentent des manières de faire et de défaire ― de ré-agencer. Le «
Tout-monde »2 est
composite.
AZ 60 se questionne sur la manière dont les
créateur·ice·s pratiquent, montrent ou performent ces relations. AZ 60 donne la voix
aux manières de composer et d’habiter des mondes qui constituent « un
plurivers, à savoir un ensemble de monde en connexion partielle les uns avec
les autres, [...] où les mondes s'entremêlent, se co-produisent et s'affectent
les uns les autres par le biais de connexions partielles, sans jamais se
réduire à la somme de leurs interactions. »3
AZ 60 se veut à la fois espace et outil pour
engager la discussion sur le « composite » afin de provoquer de nouvelles
constellations.
AZ 60 cherche ainsi des contributions qui
explorent le composite comme
- formes artistiques et de design,
-
méthodologies et pratiques de
recherche,
-
concepts théoriques.
La notion de composite peut être exemplifiée
par le reliquaire de Sainte Foy (Aveyron, France, IXe - XIVe siècle). En effet,
sa conception même part de l’idée de réaliser, à partir d’une tête en or
antique déjà existante, un corps en bois d’if assis sur un trône recouvert
d’or, afin de conserver le crâne de Sainte Foy. Trois éléments de nature et de
matière hétérogène sont agrégés en une figuration anthropomorphe en volume, qui
concrétise une pensée composite du culte, affirmant - non une rupture - mais
une relation enchevêtrée entre paganisme et chrétienté. Outre cet assemblage
osé, les savoir-faire d'orfèvrerie que le reliquaire met en exergue proviennent
également d’origines variées. En effet, la statue rappelle plastiquement la
Couronne votive de Réceswinthe, ouvrage wisigoth du VIIe siècle, qui conjugue
inspirations ibériques et byzantines et techniques d’incrustation germaniques.
La célèbre restauration de 1954-55 du reliquaire mené par Jean Talaron4 a
permis de synthétiser les nombreuses modifications qu’il a subi de sa
réalisation première jusqu’au XIVe siècle. Ces modifications ont été liées à
des arrachements certainement dûs à des vols, mais aussi à des embellissements
provenant de dons (entre autres de nombreux joyaux royaux ou impériaux). Le
démontage du reliquaire a permis d’observer nettement les éléments qui n’y
étaient pas destinés mais qui ont été adaptés pour y prendre place, comme les
bandes en or incrustées qui agrémentent le bas du vêtement et les manches, ou
la couronne ; mais également d’autres fragments provenant de reliquaires
ruinés. Le reliquaire de Sainte Foy est donc un conglomérat organisé d’éléments
provenant de cultures, de territoires et d’époques différentes. Il rassemble de
façon tangible des extraits d’espaces et de temps qu’il serait possible de
désolidariser afin de réparer, augmenter ou construire autre chose. Si le
reliquaire de Sainte Foy est un bon exemple de l’idée de composite, il montre
que le composite a avoir - comme en rétro-ingénierie - avec le fait de pouvoir
identifier de quoi les objets sont les résultats : de quels matériaux, de
quelles techniques de mises en forme, de quelles formes standardisées par leurs
outils de production, et de quels gestes d’assemblages, elles résultent. Le
composite rend lisible ce qui le constitue et comment. Il a également avoir
avec la promesse, la potentialité que contient chacun de ses fragments.
A cet égard, le travail que développe
Simon Starling n’est que variations, à la manière d’une partition de musique,
sur le composite. L’artiste use des objets pour mettre en exergue comment
ceux-ci fabriquent des mondes.
Il invente des dispositifs, souvent mis en jeu dans des trajets-performances,
qui révèlent les relations entre espace, temps, histoire et culture. Les
matériaux sont rendus à leur statut de fragments, d’éléments uniques qu’il
dé-pièce pour les re-composer et tisser un nouveau récit. Ainsi, dans Work, Made Ready (1997), Starling opère
une mutation des formes entre la chaise Eames et le VTT Sausalito, deux
emblèmes du design pour les transmuer l’un en l’autre. Le métal de l’un est
fondu pour fabriquer la structure de l’autre. Et vice et versa. Dans la pièce Shedboatshed (2005), un abri en bois qui a probablement servi de
lieu de stockage de barques, est démonté pour produire une nouvelle forme, un
bateau à fond plat : grâce à celui-ci, l’artiste peut descendre le Rhin et
transporter avec lui les planches de bois de l’architecture démontée jusqu’à un
musée où est reconstruit à l’identique l’abri. L’objet architectural est
détourné, puis recyclé en un autre objet jusqu’à ce que le but soit atteint et
que l’artiste détourne le nouvel objet pour lui faire retrouver finalement
retrouver sa forme première. Un jeu de bricolage en boucle qui dépasse le
ready-made duchampien. Un détournement des formes et des fonctions à l’œuvre où
s’opèrent des enjeux de recyclage, de circulation, de fragmentations, de
re-compositions. Starling pratique un art de la « métamorphologie ».5 Il
trans-forme : les formes se fondent, se déconstruisent, se recyclent et par
cette métamorphose révèlent des nouvelles pratiques, de nouveaux usages, de
nouveaux récits : un processus qui met en jeu les
cycles, les déplacements, les transformations où tout se relie, se remodèle, se
reconfigure ad vitam aeternam.
Comme Starling, les Cubain·e·s associent leur
vélo à d'autres objets pour répondre à leurs besoins de transport. Les gens
appelaient ces composites « rikimbilis ». Le gouvernement, dans une tentative
de traduction juridique, les appelait VAP : véhicules assemblés à partir de
pièces et de morceaux. Mais décrire, c'est transformer6,
et le VAP peut aujourd'hui désigner une multiplicité d'assemblages. Un
rikimbili aujourd'hui peut être le croisement de chaises d'école, de signaux de
circulation, de moteurs de tronçonneuses, des fenêtres de l'autobus. Les
rikimbilis sont des arrangements en réédition permanente, à la merci des
besoins et des aléas économiques et juridiques de l'île. En essayant de
l'adapter aux changements sociaux, le rikimbili finit par fonctionner comme une
machine qui attire et expulse des pièces et des morceaux, comme si ce montage
et ce démontage continuels, comme les mouvements centrifuges et centripètes,
étaient sa force motrice. « La relation est mouvement »7.
En espagnol, relatar est synonyme de
narrer, c'est raconter dans le sens de mettre en relation. Étymologiquement, il
s'agit de porter des faits à la connaissance de quelqu'un. Un rikimbili est un relato, un artefact qui comporte des
parties et des pièces.
Le fabricant de rikimbili fonctionne comme un
rhapsode, qui déclame des vers articulés à partir de fragments d'histoires
qu'il a recueillis au cours de sa vie nomade. Chaque fois, il réarrange le
contenu pour répondre aux demandes de l'auditoire. Le rythme, parfois renforcé
par des coups de bâton sur le sol, permet à ces arrangements improvisés d'avoir
un sens. Le rythme sépare et unit les parties. Deleuze dirait « Le rythme c’est
une notion commune à deux bords au moins. » Le rikimbili peut alors être imaginé
comme un archipel, un ensemble d'îles (parties) unies par ce qui les sépare.
Le composite peut être « mean ». « Mean » comme «
moyenne » ou « moyen », « méchant », « minable » ou « ordinaire », « signifiant
», la « norme ». Avec ce terme anglais composite « qui brouille et superpose
des couches de signification apparemment incompatibles » [notre traduction],
l’artiste et chercheuse Hito Steyerl décrit ainsi une nouvelle génération de
visuels produites par des générateurs d'IA texte à image.8 En utilisant des bases de données où des « ghost
workers » ont auparavant analysé des contenus violents stockés dans des data centers polluants, des algorithmes
entraînées produisent des images qui ne (re)présentent pas des objets réels,
mais qui calculent des objets à partir des statistiques, des paramètres liés au
marché et des déchets numériques. Réactualisent des photographies composites
eugénistes de Francis Galton, elles visualisent ainsi des idéologies
culturelles intermédiaires accumulées par une société en ligne, où les extrêmes
― non vivables et discriminants ― sont devenus la norme. Processus opaques, ces
images « sautent la médiation pour faire un geste vers une fausse immanence »
[notre traduction] où une réalité abstraite se veut authentique.9
L’invisibilité et l’immédiateté définissent
par ailleurs les médias : « Les médias font naître quelque chose, ils
s'effacent eux-mêmes à l'arrière-plan ; les médias permettent de visualiser
quelque chose, tout en restant invisibles. [...] seuls le bruit, les
dysfonctionnements et les perturbations rendent le médium lui-même perceptible
» [notre traduction], note la philosophe Sybille Krämer.10
Si la basse résolution des « mean images » indique encore leur caractère
artificiel et construit, les « images composites » ou des « compositions
colorées » du Centre de météorologie spatiale de Météo-France dissimulent de
nombreuses chaînes de traduction.11 L’observation globale et permanente de notre planète est une composition de
plusieurs images et couches ― de fait des lignes de codes ― captées, transmises
et soigneusement retravaillées afin d’exposer le récit moderne d’un univers
cohérent et homogène.
À l’aune de ces quelques exemples, AZ 60
souhaite rendre compte des narrations, créées par les artistes et les
designers, qui matérialisent le composite afin de faire surgir l’existence des
plurivers.
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Date de parution du numéro : automne 2025
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