Entretien

« Mettre le designer au cœur du projet de la Cité du design » 

Designer reconnu sur le plan national et à l'international, Éric Jourdan est le nouveau directeur général de l'EPCC Cité du design - Esadse. Il dévoile les grands axes de son projet pour l'établissement culturel stéphanois.

par Marie Camière

Éric Jourdan, directeur général de l'EPCC Cité du design - Esadse

Doté depuis le 1er janvier 2024 de nouveaux statuts, l'EPCC Cité du design - École supérieure d'art et design de Saint-Étienne (Esadse) débute aussi l'année avec un nouveau directeur général. Éric Jourdan, designer reconnu en France et à l'international, qui dirigeait déjà l'Esadse depuis 2020, prend les rênes de l'institution stéphanoise. Son ambition : mettre le designer au cœur du projet de l'établissement pour un faire un lieu unique de création et de découverte du design, permettant d'imaginer et de montrer à tous les publics des projets inédits, en lien avec la vie quotidienne. 

Quelle est votre définition du design ? 

À mes yeux, le travail du designer consiste avant tout à prendre soin de dessiner le quotidien qui nous entoure, aussi bien le cadre de vie que les objets dont on se sert. Tout comme on gagne à mieux manger, des aliments sains et bien cuisinés, on peut améliorer la qualité de vie de chacun grâce à des environnements et des objets bien conçus et dessinés. La notion de beau est personnelle à chacun mais si on s'attache à bien dessiner, cette intention sera comprise et appréciée. Quant à l'usage, c'est une évidence : le souci de la fonctionnalité est inhérent au métier de designer. 

Comment Saint-Étienne est-elle devenue une capitale du design ? 

Au-delà de son riche passé industriel, qui a tissé des ponts entre art et industrie, je pense que c'est surtout la création de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne qui a permis au territoire stéphanois de s'identifier au design et de porter le projet de la Cité du design. En 1998, la Biennale a été lancée par l'Esadse, avec peu de moyens, mais c'était un geste fort, très audacieux, proposant des formats d'exposition inédits. Saint-Étienne est devenue la ville l'où on pouvait découvrir le design sous toutes ses formes, venu de tous les continents, y compris de pays d'Afrique ou d'Asie qui n'étaient alors pas considérés comme des lieux de création en design. C'était un événement complètement nouveau, où l'on pouvait voir des choses qu'on ne voyait nulle part ailleurs, du mobilier au design industriel, en passant par le design graphique. Cette singularité a permis à la Biennale de rencontrer un formidable succès au début des années 2000, faisant de Saint-Étienne un lieu incontournable du design. Depuis, la Biennale a évolué, s'est professionnalisée, la Cité du design a fait rayonner Saint-Étienne sur le plan national et international, notamment au sein du réseau des Villes créatives de l'Unesco - mais nous devons aujourd'hui réinventer notre singularité pour écrire une nouvelle page de cette aventure.

Quelles sont les orientations prises par l'Esadse sous votre impulsion depuis 2020 ?

En tant que directeur de l'école, j'ai souhaité diversifier le profil de nos étudiants, et leur permettre d'être mieux accompagnés vers la vie professionnelle. La première pierre a été de créer une classe préparatoire publique en 2021. C'est une passerelle qui permet à des jeunes gens éloignés de ce type de formation, issus notamment de lycées professionnels, de révéler leur potentiel créatif pour s'engager dans des études d'art et de design. La dernière brique mise en place concerne la création d'une formation en alternance en design - une première en France dans une école publique. Cela implique un changement culturel dans une école d'art et de design, mais nous poursuivrons cet effort car l'apprentissage est le meilleur vecteur d'insertion professionnelle.  J'ai veillé par ailleurs à ce que l'Esadse reste une école où l'on crée, une école du « faire ». C'est notre marque de fabrique, grâce à des ateliers techniques particulièrement riches en personnels qualifiés et équipements. Enfin, j'ai accompagné le rattachement à l'école de l'ensemble des activités de recherche de l'EPCC. Nous développons notamment un axe de travail tourné vers l'industrie, qui s'inscrit dans une approche prospective avec des entreprises et leurs activités de R&D. 

Quelles sont vos priorités pour l'EPCC Cité du design-Esadse et la prochaine Biennale ? 

Ma conviction, c'est qu'il faut aujourd'hui mettre le designer au cœur du projet de la Cité du design et de la Biennale, pour être là aussi dans le « faire », en lien toujours plus étroit avec l'école. C'est ce que notre directrice du développement culturel et artistique Laurence Salmon a commencé à mettre en place en 2023 avec le cycle d'expositions Présent >< Futur, qui met en lumière une nouvelle génération de designers, tout en proposant à chaque designer invité une aventure créative inédite avec une entreprise. Notre établissement doit s'affirmer comme un lieu de création, française et internationale, où art et design se rencontrent. Cela pourrait passer aussi par des projets de résidence, de formation continue, de projets associant chercheurs et créateurs... La Cité du design ne doit pas rester en périphérie, ou se cantonner à des sphères institutionnelles. Elle doit être au cœur de la machine, au cœur de la création en design. Je souhaite que les designers français et internationaux puissent venir ici pour se nourrir, trouver de l'inspiration, fabriquer. Cette dynamique nous permettra de proposer une programmation culturelle d'autant plus singulière et impactante, pour sensibiliser tous les publics au design : étudiants, curieux ou amateurs avertis, sans oublier le jeune public.
C'est aussi la direction que je veux donner aussi à la prochaine Biennale. Celle-ci se tiendra à l'automne 2025 au cœur d'un quartier transformé en profondeur, qui accueillera une Galerie nationale du design, coportée par le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole et la Cité du design. Cette Biennale doit mettre au premier plan les designers pour montrer des projets à la fois inédites et inscrits dans la vie de tous les jours, pour parler à chacune et chacun, qu'il soit ou non familiarisé avec le design.

Quelles seront les premières étapes, dès 2024 ? 

Concernant la Biennale, dès la rentrée 2024 de l'Esadse, nous accueillerons quinze designers internationaux - quinze individualités - pour travailler d'une part avec nos étudiants dans le cadre de workshops, d'autre part avec des entreprises, sur des projets novateurs qui seront présentés en 2025. Cette année sera aussi marquée par la mise en œuvre de la nouvelle organisation de la recherche, qui porte des objectifs ambitieux. Les équipes Cité du design-Esadse emménageront cet été dans le nouveau siège social de l'EPCC aménagé par Saint-Étienne Métropole dans le cadre du projet Cité du design 2025 : les équipes de recherche y disposeront d'un espace qui leur permettra d'accueillir temporairement des chercheurs, designers ou artistes venus d'autres structures. Ce sera un marqueur très positif du renouveau de notre établissement. Sur le plan de la diffusion, la Cité du design déploiera une riche programmation, avec deux expositions dans le cadre du cycle Présent >< Futur, une exposition thématique de six mois qui réunira des projets menés dans divers pays autour de la céramique et des pratiques culinaires, un dispositif de médiation en design sonore en partenariat avec le Centre Pompidou, des animations à la Cabane du design, un cycle de conférences, des événements, des éditions, etc. Nous renforcerons aussi en 2024 notre dynamique de partenariats, pour embarquer nos partenaires institutionnels et privés dans cette nouvelle page de l'histoire de l'EPCC Cité du design-Esadse.


Éric Jourdan, un designer engagé pour le territoire stéphanois

Né en 1961 à Chatou (Yvelines), Eric Jourdan est diplômé de l’École des Beaux Arts de Saint-Étienne et de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Designer reconnu par ses pairs, il est spécialisé en création de mobilier mais s'est aussi distingué dans des domaines comme le graphisme ou la scénographie. Enseignant dans plusieurs écoles prestigieuses, dont les Beaux-Arts de Paris, il a rejoint l'Esadse en 1994 et contribué à l'essor du design à Saint-Étienne, participant à la création de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne en 1998, avant de devenir en 2020 directeur de l'Esadse. Les créations d'Éric Jourdan sont présentes dans les collections du Fonds national d’art contemporain, du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole et du musée des Arts Décoratifs à Paris.


Parcours

Après une première expérience auprès du designer allemand Luigi Colani, il débute une collaboration avec la Galerie Néotu, créant des collections de mobilier. En parallèle, il réalise la signalétique de la Fondation Cartier et l’aménagement des bureaux de presse de Cartier USA à New York.  À partir de 1992, dans le cadre de commandes du ministère de la Culture, il réalise des collections de mobilier pour le Musée des arts décoratifs de l’océan Indien à La Réunion, puis aménage le musée de Nouméa en Nouvelle-Calédonie. En 1993, Philippe Starck lui propose de rejoindre l’équipe Thomson multimédia pour travailler sur des programmes d’électroménager. Il fonde ensuite son propre studio. En 1995, il obtient une carte blanche du VIA pour un programme de recherche sur le mobilier traversant. L'année suivante, il travaille sur l’aménagement des berges de Seine dans le Val-de-Marne. 

En tant qu'enseignant à l'Esadse, il participe à la création de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne, portée par le directeur de l'école Jacques Bonnaval. Pour la 2e édition, en 2000, il est nommé commissaire général. La galerie Gilles Peyroulet & Cie lui consacre deux expositions personnelles au début des années 2000. À partir de 2002, il débute des collaborations régulières avec de grands éditeurs de design : Ligne Roset, Cinna, Meublatex, Ecart international. Il travaille aussi avec des groupes industriels comme Pyram ou Beaba, tout en participant à la conception de la signalétique de la Cité internationale universitaire de Paris au côté de Ruedi Baur. Après des commandes pour le Mobilier national en 2006, il intervient en 2007 dans l’espace public avec l’aménagement du parvis de la Gare de Saint-Étienne et la signalétique de l’Université Rennes 2. Il est lauréat en 2008 du concours de l’aménagement du Salon Première Vision, qu'il conçoit en 2009 : 90 000 m2 d’aménagement, création du mobilier, de l'éclairage et de la signalétique. La galerie parisienne Gosserez le met en lumière à travers une exposition personnelle en 2012, suivie en 2013 par la galerie En Attendant les Barbares. La même année, il est commissaire de de l'exposition Homework, une école stéphanoise à la Cité du design. En 2014, son travail est présenté au Pavillon des arts et du design à Paris. Il aménage en 2017 le Salon du Livre de Frankfort, en Allemagne. 

En 2020, il devient directeur de l'Esadse, qui forme depuis 2010 avec la Cité du design un établissement public de coopération culturelle. Il engage une politique d'ouverture de l'école à de nouveaux profils d'étudiants, à travers la création d'une classe préparatoire publique et de doubles diplômes en design avec des universités Tongji de Shangaï (Chine) et Kookmin de Séoul (Corée du Sud). L'Esadse lance en septembre 2022 la première formation en alternance en design dans une école publique française. En parallèle, Éric Jourdan poursuit son activité de designer, dessinant de nouvelles collections de mobilier (Utopia, Alando, Karuma) et luminaires pour le groupe Roset, et participant régulièrement à des expositions collectives à la galerie En Attendant les Barbares.   


Expositions personnelles

1991 : Fondation Cartier, Jouy-en-Josas
2000 : Traversants, Galerie Gilles Peyroulet & Cie, Paris
2004 : Frame, Galerie Gilles Peyroulet & Cie, Paris
2012 : Formes, Galerie Gosserez, Paris
2013 : Fauves, Galerie En Attendant les Barbares, Paris
2020 : Constructions, Galerie Surface, Saint-Étienne


Prix

2014 : Lauréat des Janus de l'industrie 2013 dans la catégorie mobilier pour le rangement modulable Hic & Ubiq, avec les Menuiseries Ferreyrolles
2013 : Lauréat du prix Artdesign pour le Lit de repos Edmond, en association avec la galerie Domeau & Pérès
2004 : Lauréat du Red Dot Design Award pour le canapé Snowdonia, avec Ligne Roset

2024 : un nouveau départ pour l'EPCC Cité du design - Esadse
Actualité

par Marie Camière


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