Appel à contributions

Faux voir

Appel à contributions pour la revue Azimuts - Design Art Recherche. Date limite : 02.09.2025

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par Sandra Jacquier

Le numéro 62 de la revue « Azimuts | Design Art Recherche » est porté par l’équipe de recherche « Laboratoire d’expérimentation des modernités » de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne, composante de l’Unité de Recherche Design & Création de l’Esadse, soutenue par la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture.

Thématique

Pour une part, le faux est le cauchemar du visuel. Que ce soit en philosophie, en art, en droit, en épistémologie, la catégorie du faux regroupe tout ce qui est inadmissible : la simple erreur qu’il convient d’identifier puis de corriger, mais aussi la tromperie délibérée, l’imposture, le mensonge… Si, depuis Platon, le vrai est associé au bien et au beau, alors le faux serait corollaire du mal et de la laideur. La mimesis porte donc, comme un ineffaçable péché originel, la marque de l’illusion, de la corruption et de l’infériorité par rapport à un modèle idéel.

Mais d’autre part, le faux est aussi le fantasme du visuel. Dès lors qu’il est revendiqué ‒ et c’est là une ligne de partage essentielle ‒, le faux devient un idéal à atteindre, un véritable un objet de désir. Sous les atours de la fiction, il s’habille de respectabilité inventive ; en tant que catégorie artistique, le trompe-l’œil représente un absolu de l’habileté technique ; le talent d’un comédien se mesure à sa capacité à convaincre qu’il est un autre ; même le canular peut être revêtu de qualités didactiques dès lors qu’il est revendiqué.

Traversé par la désinformation, les fake news et l’infox, notre présent est fréquemment défini comme ère de la post-vérité. Là où la “société de l’image” du XXe siècle s’appuyait d’une part sur l’essor exponentiel de la photographie et des possibilités de reproductibilité technique (Walter Benjamin), et d’autre part, sur l’assimilation entre captation mécanique du réel et valeur de vérité pour supplanter la prééminence du texte et du langage, le moment de la post-vérité découple, ou plutôt inverse, cette dernière association. L’image n’enregistre plus un fait antérieur, objectif et autonome (le « cela a été » de Barthes), elle produit désormais une puissance d’adhésion. Le visuel devient performatif de l’expérience vécue. Si Guy Debord a su diagnostiquer, dès 1967, que « dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux », il apparaît au XXIe siècle que la révolution est effectivement permanente (comme le voulait le mouvement Fluxus) et que le faux est tout autant et de façon indiscernable un moment du vrai.

Par ailleurs, cette contestation du factuel révèle un état de crise bien plus profond qu’une simple dérive conjoncturelle liée aux réseaux sociaux informatiques, à l’atomisation des vecteurs médiatiques et au spectaculaire regain des populismes. La mise en doute ‒ sinon l’effondrement ‒ des « grands récits » (Jean-François Lyotard) entraîne une suspicion généralisée. Le vrai souffre d’un soupçon, voire d’une mise en cause radicale, depuis qu’il a été invoqué pour légitimer toutes les idéologies qui prétendent imposer le seul point de vue juste et pur, s’enraciner dans une science de la nature sacralisée, définir des identités monolithiques, promouvoir un sens de l’histoire assimilé à un progrès indiscutable, revendiquer un “bon sens” qui relèverait de l’évidence et qui, par conséquent, ne nécessiterait aucune autre argumentation. Dès lors, la raison elle-même apparaît comme un lit de Procuste qui mutile les expériences marginales ou minoritaires. Le « jargon de l’authenticité », selon la charge de Théodor Adorno contre la phraséologie heideggerienne, est désormais suspect de connivence avec toutes les formes de domination et d’autoritarisme.

Mais au-delà des considérations sociologiques sur la communication et les médias, la situation entraîne des conséquences spécifiques pour tout ce qui relève du visuel. Nous nous pencherons donc sur ce que le faux fait au voir, et non seulement au savoir. Que ce soit dans le champ de l’art ou dans une approche plus large de l’image ‒ produite et/ou perçue ‒ en tant que fait anthropologique, quels sont les enjeux et les conséquences du faux ? Compte-tenu de l’étendue de la problématique, la réflexion tentera d’établir des liens entre les différents domaines abordés (parfois très hétéroclites et sans connexion académique) afin d’esquisser une pensée transdisciplinaire du “faux voir”.


Les pistes de réflexion suggérées ci-dessous ne sont ni des prescriptions ni des limitations, mais visent seulement à indiquer l’amplitude des questions pouvant être abordées :
              
L’art, vraie puissance du faux : le domaine de l’art est confronté au faux de multiples manières. La première ‒ qui a d’importantes conséquences scientifiques, institutionnelles, légales et financières ‒ est celle de la contrefaçon. Une autre est celle du style d’un artiste et de l’attribution des œuvres. Une troisième tient à l’entreprise de dévoilement qu’a pu incarner la modernité : s’affranchir de l’illusionnisme pour, comme dans une opération de vérité, mettre au jour la fausseté fondamentale des processus techniques et formels traditionnels (songeons à la dénonciation de la « peinture rétinienne » par Marcel Duchamp, mais aussi, avant cela, à la célèbre définition du tableau par Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées »).

Faux documents et “documenteurs” : le cinéma et l’art contemporain, mais aussi les archives historiques et politiques ainsi que les “théories du complot” voient fleurir de nombreuses images qui jouent de la suspension de l’incrédulité du spectateur, qu’elle soit consentie ou inconsciente.

Intelligence artificielle et deep fake : les AI génératives bouleversent en profondeur notre rapport aux images et aux documents. Au-delà, ce sont les notions mêmes d’authenticité, d’auctorialité, d’aura, voire la réalité elle-même qui sont à repenser. Par le recours aux filtres et à la retouche d’images, les réseaux sociaux sont le lieu de fabrication d’une image de soi améliorée et idéalisée, la “meilleure version de soi-même”, selon l’expression consacrée.

Nouveaux matériaux : qu’il s’agisse de produits imitant autre chose (faux marbre, faux bois, fausse pierre, fausse fourrure, fausse viande végétale, etc.), de matériaux synthétiques aux propriétés nouvelles (nano-particules, composés hybrides organique/inorganique, etc.) ou de substances nouvelles créées spontanément par les effets de l’anthropocène (par exemple le plastiglomérat, un composé sédimentaire de roche basaltique et de plastique, observé pour la première fois en 2006, à Hawaï), où passe la frontière entre le nouveau et le faux ?

Apparitions, fantômes et hallucinations : les visions attestées dans des contextes très différents sollicitent des approches fondamentalement pluri-disciplinaires mêlant la sociologie, la théologie, la psychologie, la physique… En outre, les photographies et moulages spirites posent la question de la matérialité de telles expériences.

Cryptozoologie : comment établir le partage entre la recherche de nouvelles espèces (parfois créées par la pollution) et l’étude d’animaux tenus pour légendaires ? Y a-t-il continuité depuis les bestiaires de l’antiquité et du moyen-âge jusqu’à la cryptozoologie moderne ? Que nous disent de notre distribution du vrai et du faux licornes, thylacines, mokélé-mbembés, okapis, yétis, cœlacanthes et autres monstres (rappelons que le latin monstrare signifie montrer, dévoiler), du Loch Ness ou d’ailleurs ? Quel statut pour les documents, s’agissant de ce qui demeure invisible ? Dans un contexte de crise écologique et ethnologique, le crypté représente-t-il une zone grise, entre apparition et disparition ?

Notes aux auteur·ice·s

Nous encourageons les contributions critiques, théoriques, expérimentales ou fondées sur des projets concrets. Chercheurs, designers, artistes et penseurs sont invités à soumettre des textes, articles, interviews ou propositions visuelles explorant ces thématiques.

  • Azimut ne se limite pas à des formes d’écrits académiques, ce qui signifie qu’une certaine liberté dans l’approche textuelle est possible dès l’instant où le propos est clairement énoncé, l’argumentation structurée et le thème du numéro respecté.
  • Azimut accorde une grande importance à l’iconographie. N’hésitez pas à accompagner vos propositions de visuels (dont l’auteur·ice est détenteur·rice des droits ou des images libres de droits préférentiellement).
  • Des contributions essentiellement visuelles sont également possibles (« cahiers d’images » avec une description des processus techniques du projet).

Laboratoire d’Expérimentation des Modernités (LEM)

Ce numéro de la revue Azimuts est porté par le Laboratoire d’Expérimentation des Modernités (LEM) de l’école supérieure d’art et design de Saint-Étienne, composante de l’Unité de Recherche Design & Création de l’Esadse, soutenue par la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture.

Le LEM prend pour objet d’étude et de mise en situation les héritages de la modernité, qu’ils s’inscrivent en continuité ou en rupture avec celle-ci. “Post”, “hyper” ou “alter”, la création contemporaine ne se définit qu’en relation avec le Big Bang que fut la modernité, que cette relation soit héritage, variation, rupture ou amnésie délibérée. Pour autant, cet “horizon des événements” n’est pas un mais multiple. Dans ses dimensions historiques, politiques et esthétiques, la modernité exige d’être repensée aujourd’hui afin d’en détecter les particules complexes et les rayonnements ‒ peut-être fossiles mais toujours actifs ‒ qui conditionnent notre contemporanéité.

Voir aussiLe Laboratoire d’expérimentation des modernités(LEM)

Modalités de soumission

Les résumés des propositions de contribution doivent être envoyés avant le 02.09.2025

Les propositions doivent comporter un titre, le prénom et le nom de l’auteur·ice, ainsi que quelques lignes de présentation (biographie (qualité, rattachement institutionnel ou lieu d’exercice de la profession) et une ou deux références bibliographiques propres à l’auteur).

Le dépôt se fait via : azimuts.contribution@esadse.fr avec l’objet « Azimuts-contribution n°62 »
- Format du fichier : .doc, .pdf
- Intitulé du fichier : « nom de l’auteur·ice_ AZ62 »

L’iconographie éventuelle doit être envoyée via la même adresse mail.

Pour l’appel à contribution, la taille du résumé demandé est de 2 000 signes pour des textes finaux d’une taille de 5 000 à 15 000 signes.

En parallèle pour le bon suivi de votre dépôt, nous vous remercions de compléter
ce formulaire

Premier retour aux contributeur·ice·s : 1e octobre 2025

Suivi éditorial : octobre-décembre 2025

Les textes acceptés seront à rendre terminés (texte + iconographie éventuelle) le 15/12/2025 :
• en cas de texte : entre 5 000 et 15 000 signes maximum,
• en cas de contribution essentiellement visuelle : entre 1 et 8 pages format 22 cm de haut x 16.5 cm de large.

Date de parution du numéro :
automne 2026

Pour toutes questions et informations complémentaires, merci d’utiliser la même adresse mail que pour l’envoi des propositions : azimuts.contribution@esadse.fr

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