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Les livres compagnons de Le Monde sinon rien

Livres à partager : Sophie Pène, co-commissaire de l’exposition, nous propose sa sélection de livres qui créent des liens

par Helene Fromen

« Il traduit merveilleusement l’immensité d’une forêt ou d’un champ dans le premier sentiment qu’un humain a de la nature. » — Sophie Pène, à propos du livre Les Grands Espaces

Les visiteurs d’une exposition ont l’habitude de découvrir une citation d’un artiste ou écrivain célèbre affichée sur le seuil d’une salle. Pour nous, ce sera la chanson mélancolique du groupe PNL, Le monde ou rien. Le titre de notre exposition, Le Monde sinon rien, sonne comme une promesse, ou un gong : il n’y a pas d’alternative, il faut prendre soin du monde, la jeunesse sera pilote de la bifurcation. 

L’exposition s’est entourée de livres, car elle a ouvert la boîte de Pandore des Transition Design Studies. Dans ce champ, la pensée du vivant cherche les voies d’une cohabitation transformée entre espèces. Les étudiants qui se sont engagés dans l’exposition ont une connaissance et un appétit intenses pour les textes cités dans la bibliographie ci-dessous. Nous explorons une littérature fertile faite de livres compagnons qui sont devenus de véritables objets d’exposition. 

Les Grands Espaces, Catherine Meurisse

Ce livre est un roman graphique qui raconte l’enfance de deux sœurs en pleine nature. Quelqu’un de proche me l’avait offert, car je serais « née dans la forêt », selon une plaisanterie familiale. Noémie Sauve, une artiste essentielle pour Le Monde sinon rien, parle de son enfance dans la Drôme, et de sa vie libre avec son cheval. Quelque chose me faisait penser à Catherine Meurisse, l’auteure des Grands espaces. Il se trouve que c’est une de ses grandes amies. Pauline Liogier, la créatrice du Pôle Terre, avait pris Les Grands espaces comme une référence essentielle de son diplôme. Ce livre circule sans doute entre bien d’autres personnes. Il traduit merveilleusement l’immensité d’une forêt ou d’un champ dans le premier sentiment qu’un humain a de la nature. Il n’est pas étonnant qu’il soit un lien secret entre différentes personnes qui se retrouvent dans le Monde sinon rien. Car il rejoint la littérature du vivant en réveillant une expérience ancrée dans la prime enfance, quand l’imagination associe les herbes et les arbres à des avenirs infinis.


ArticleL’art les mains dans la terreRencontre avec Pauline Liogier et Pauline Gillard
« Il traduit merveilleusement l’immensité d’une forêt ou d’un champ dans le premier sentiment qu’un humain a de la nature. » — Sophie Pène, à propos du livre Les Grands Espaces

Le Champignon de la fin du monde, Anna Tsing

Ce livre a été le ferment du Monde sinon rien. Nous savions au départ que notre terrain premier serait les écoles d’art et de design. Nous voulions montrer que les écoles sont des aires de création où s’abritent des projets, cela dans une atmosphère très contrastée. Dans les écoles, les étudiants rencontrent une organisation traditionnelle, et des systèmes d’évaluation qui peuvent passer pour des marques d’obsolescence. Pourtant les étudiants y prennent leur assise, ils y apportent des débats, des thèmes, des besoins qui font que les écoles sont aussi des territoires d’avant-garde. Le Champignon de la fin du monde a donné sa forme à l’exposition. L’auteure, Anna Tsing, est une anthropologue qui enquête dans les forêts de l’Oregon. Les grands pins y semblent morts. Pourtant à leurs pieds de précieux champignons, les matsutake, se développent. Ces champignons ont été repérés par deux communautés qui ont trouvé refuge là, les descendants de migrants vietnamiens, et des vétérans de la guerre d’Irak. Ceux-ci disposent de savoirs hérités qu’ils vont réagencer, de sorte qu’ils parviennent à développer un commerce mondial des matsutake, qui les fait vivre, et bien vivre.

« À l’instar de la cueillette des champignons précieux, l’apprentissage se développe comme un rhizome qui lierait les écoles entre elles, et traduirait l’essence d’une époque. »

Anna Tsing nomme « diversité contaminée » les formes créatives qui émergent de vieux mondes, d’où le sous-titre du livre : De la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme. Le Monde sinon rien est issu des métaphores avec lesquelles jouent le livre. Les étudiants, les enseignants habitent les écoles qui sont en quelque sorte des forêts oubliées, riches cependant de ferments méconnus où prennent racines des mondes pour demain. Dans notre logique, l’apprentissage est une fermentation, un mode d’expérience. À l’instar de la cueillette des champignons précieux, l’apprentissage se développe comme un rhizome qui lierait les écoles entre elles, et traduirait l’essence d’une époque. Les étudiants fertilisent des terrains du passé. Ils inventent avec leurs enseignants des formes de vie nouvelles qui s’expriment dans des œuvres plastiques, des performances, des films, mais aussi des mises en situation et des interventions collectives.

Dans notre logique, l’apprentissage est une fermentation, un mode d’expérience. À l’instar de la cueillette des champignons précieux, l’apprentissage se développe comme un rhizome qui lierait les écoles entre elles, et traduirait l’essence d’une époque.

Sophie Pène, co-commissaire de Le Monde sinon rien

Les réalisations des étudiants sont trop souvent contenues au stage de projets qui servent aux évaluations de fin d’année. Le Monde sinon rien les considère comme Anna Tsing regarde les cueilleurs de champignons, des inventeurs et des guides. En effet, les explorations des étudiants nous aident à vivre dans « les ruines du capitalisme ». Mais cela va bien plus loin : leurs créations ouvrent des pistes pour des bifurcations salutaires. Un point qui a compté, c’est que ce livre, beaucoup d’étudiants l’ont lu, c’est le livre d’une génération, un rare best-seller de sciences humaines, qui est très dense, mais répond si bien aux demandes des étudiants qu’ils le lisent avec joie.

Oeuvres dont des extraits sont exposés dans Le Monde sinon rien 

DESPRET Vinciane, Habiter en oiseau, Actes Sud, 2019
HARAWAY Donna Jeanne, Vivre avec le trouble, Les éditions des mondes à faire, 2020 
LATOUR Bruno, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, La Découverte, 2017
MORIZOT Baptiste, Manières d’être vivant : enquêtes sur la vie à travers nous, Actes Sud, 2020
TSING Anna Lowenhaupt, Le champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vie dans les ruines du capitalisme, La Découverte, 2017
WEIZMAN Eyal, La vérité en ruines : Manifeste pour une architecture forensique, Zones, 2021
MARTIN Nastassja, Croire aux fauves, Verticales, 2019
MEURISSE Catherine, Les grands espaces, Dargaud, 2018
VANUXEM Sarah, La propriété de la terre, Wildproject, 2018


Complément de bibliographie

La littérature du vivant

– CHARBONNIER Pierre, Abondance et liberté, une histoire environnementale des idées politiques, La Découverte, 2021

– COCCHIA Emmanuele, La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris, Payot et Rivages, 2016

– DESCOLA Philippe, L’Écologie des autres. L’anthropologie et la question de la nature, Paris, éditions Quae, 2011 ; rééd. aux mêmes éditions en 2016

– DESPRET, Vinciane, Autobiographie d’un poulpe: et autres récits d’anticipation, Actes Sud, 2021

– FRESSOZ Jean-Baptiste et LOCHER Fabien, Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècles, Paris, Seuil, 2020

– GUATTARI Félix, Les Trois écologies, Galilée, 1989

– LE GUIN Ursula K., Terremer, traduit de l’angais (américain) par Jean Bailhache, Isabelle Delord-Philippe, Pierre-Paul Durastanti, Patrick Dusoulier, Sébastien Guillot, Philippe R.Hupp et François Maillert, Le livre de poche, 2018

– HACHE Emilie (dir.), Écologie politique. Cosmos, communautés, Amsterdam, collection Hors collection, 2012

– IMGOLD Tim, Faire - Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture, Dehors, 2017

– LARRÈRE, Catherine et LARRÈRE, Raphaël, Le pire n’est pas certain-Essai sur l’aveuglement catastrophique, Premier Parallèle, 2020

– LAURENT Eloi, Et si la santé guidait le monde : L’espérance de vie vaut mieux que la croissance, Les Liens qui libèrent, 2020

– LENOIR, Éric, Petit traité du jardin punk. Apprendre à désapprendre, Terre vivante, 2018

– PLUMWOOD Val, Dans l’œil du crocodile : l’humanité comme proie, traduit par Pierre Madelin, Marseille, Wildproject, 2021

– PLUMWOOD Val, Feminism and the Mastery of Nature, et Environmental Culture. The Ecological Crisis of Reason

– STAHULJAK Zrinka, Les Fixeurs au Moyen Âge. Histoire et littérature connectées, Seuil, 2021

– REKACEVITCZ Philippe et ZWEER Nepthys, Cartographie radicale, explorations, La Découverte, 2021

Apprendre

– BLUME Euge, FELIX Matilda, KNAPSTEIN Gabriele & NICHOLS Catherine (dir.), Black Mountain college: an experiment, Spector, Leipzig, 2019

– BOULANGER Agathe, FREDERIKSEN Signe & LAGRANGE Jules, Ce que Laurence Rassel nous fait faire, Paraguay press, Paris, 2020

– CHARMATZ Boris, Je suis une école : expérimentation, art, pédagogie, Les Prairies ordinaires, Paris, 2009

– CÔME Tony, L’Institut de l’environnement : une école décloisonnée, B42, Paris, 2017

– DELACOURT Sandra, L’Artiste chercheur : le rêve américain au prisme de Donald Judd, B42, Paris, 2019

– DEWEY John, Démocratie et éducation [« Democracy and Education, 1916 »], traduction Gérard Deledalle, Paris, Armand Colin et Nouveaux Horizons, 1990

– ÉCOLE SUPÉRIEURE D’ART et DESIGN, Cycle Design et recherche (éd.), « Formation », revue Azimuts, no 51, 2020

– FREIRE Paulo, Pédagogie de l’autonomie, Erès, Toulouse, 2013

– GOURBE Géraldine (éd.), In the canyon, revise the canyon: savoir utopique, pédagogie radicale et artist-run community art space en Californie du Sud, Shelter press, Rennes, 2016

– LALLEMENT Michel, Un désir d’égalité. Vivre et travailler dans des communautés utopiques, Paris, Seuil, coll. La couleur des idées, 2019

– LALLEMENT Michel, L’Âge du Faire. Hacking, travail, anarchie, Paris, Seuil, 2015

– LEHMANN Annette Jaël (éd.), Tacit knowledge: California institute of the arts, 1970–1977, Spector, Leipzig, 2019

– LINHART Virginie, Vincennes, l’université perdue, Agat films & Co, 2016 (film)

– RECLUS Elisée & KROPOTKINE Pierre, La joie d’apprendre, Héros limite, Genève, 2018

– RICHARD Lionel, Comprendre le Bauhaus : un enseignement d’avant-garde sous la République de Weimar, Infolio, Golion, 2009, coll. Archigraphy

par Helene Fromen


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