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Dans le Cabanon de Le Corbusier

Itinéraire bis : entretien avec Géraldine Dabrigeon autour de l’exposition Cabanes

par Julie Guyon

Cabanon de Le Corbusier, Roquebrune-Cap-Martin Photo : Olivier Martin-Gambier 2006 © FLC/ADAGP

Pour la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2022, le Site Le Corbusier proposera une exposition familiale autour de la figure de la cabane et de la thématique de l’habitat minimal. À cette occasion, Géraldine Dabrigeon, directrice du Site le Corbusier à Firminy, nous parle de ce projet d’exposition et de l’emblématique Cabanon de Le Corbusier. 

Pourquoi présenter une exposition sur les cabanes ? 

L’objectif est d’avoir une approche différente du monde et de l’espace architectural. On souhaite développer une approche plus sensorielle et émotionnelle de l’architecture, pas seulement didactique, pour toucher d’autres publics, notamment les familles et les jeunes publics. L’exposition Cabanes s’inscrit dans cette dimension sensible. Chacun a des images de cabane dans la tête. À la fois territoire physique et espace psychique, elle est le premier espace qu’on crée quand on est enfant. La cabane rejoint la catégorie « des habitats dits minimalistes ». Parfois mobile, elle offre un abri intime et éphémère, un refuge temporaire. Avec cette exposition, nous mettons en place de nombreux ateliers et misons sur l’expérientiel et l’imaginaire. Nous souhaitons d’abord faire vivre une expérience pédagogique et créative au public, en faisant découvrir l’autoconstruction, mais aussi montrer l’ambivalence de la figure de la cabane et aborder des questions liées aux sciences sociales. L’exposition sera éco-conçue : tout sera réutilisé. 

Lorsque j’étais enfant, j’avais aménagé tout le bas d’un grand placard de ma chambre. C’était mon espace. C’est bizarre de dire cela, mais je vivais dans un placard.

Géraldine Dabrigeon, directrice du Site Le Corbusier à Firminy

En quoi la cabane est-elle un exemple de bifurcation ? 

La cabane est un habitat révélateur des enjeux environnementaux et sociaux puisqu’aujourd’hui nous ne la percevrons plus seulement comme un objet de rêverie et de jeu ou comme un habitat temporaire de pleine nature. Elle interroge une nouvelle façon d’habiter et répond à de nouvelles aspirations. Elle est devenue en quelques années un lieu de villégiature que l’on réserve, voire un lieu que l’on construit soi-même et dans lequel on choisit de vivre définitivement en contact direct avec la nature. Elle s’intègre parfaitement dans cet engouement actuel vers un retour à la nature, vers un besoin de se ressourcer.

Une partie de l’exposition sera consacrée au Cabanon de Le Corbusier ? 

Oui, pour apporter un complément à l’exposition Cabanes qui s’adresse davantage à un public familial, il nous parait essentiel de pouvoir aussi amener une dimension architecturale ou scientifique pour les publics avertis. Car pour les architectes du XXe siècle, la cabane est un modèle de fonctionnalité et de simplicité, et elle inspire aussi un nouveau langage architectural. Nous allons donc nous associer au site corbuséen du Cap-Martin pour mettre en œuvre une petite exposition, diffuser des films ou présenter une maquette du cabanon. Pour construire sa cabane située en bord de mer à Roquebrune-Cap-Martin (1951), Le Corbusier est parti du Modulor et de la cellule minimum. Il développe une approche ergonomiste et fonctionnaliste dans cette petite construction carrée de 15 m² en bois, de 3,66 m par côté, où il applique les mesures du Modulor (2,26 m de hauteur). À l’intérieur, tout se réduit à une table de couchage et quelques rangements. Le Corbusier vient travailler sur la mise en peinture et la polychromie et s’inspire de la cabine de bateau qui se retrouve également dans le travail de Charlotte Perriand aux Arcs, ou celui de Jean Balladur, avec sa station balnéaire de La Grande-Motte. Aujourd’hui, Le Cabanon est classé « monument historique », il a été repris par le Centre des monuments nationaux. Un cabanon, qui n’avait aucune valeur en soi, et qui devient patrimoine, c’est fort. 

L’architecture actuelle s’occupe de la maison, de la maison ordinaire et courante pour hommes normaux et courants. Elle laisse tomber les palais. Voilà un signe des temps.

Le Corbusier, Vers une architecture, 1923

Pouvons-nous dire que Le Corbusier était un penseur de l’essentiel ? 

Le Corbusier était un autodidacte et un grand médiéviste. Il est l’un des premiers à poser la notion de cellule et d’impact minimum avec Charlotte Perriand. On peut citer ses études sur le logement minimum au sein de la CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) dans les années 1930 et notamment son invention de la cellule biologique de 14 m² par habitant, il s’agit de réflexions sur l’espace de vie rationnel et fonctionnel réduit à son minimum. 

Plan Cabanon de Le Corbusier, Roquebrune-Cap-Martin Photo © FLC/ADAGP

Pour Le Corbusier son cabanon était un véritable château. Est-ce qu’on peut habiter autrement aujourd’hui ? 

Cela dépend de notre approche du monde et de nos référents. Vivre dans 14 m² en bord de mer, ce n’est, bien sûr, pas la même chose que de vivre en milieu urbain. Nous l’avons vu pendant le confinement, vivre dans 25 m² avec deux enfants… L’habitat minimaliste, c’est un problème d’esthètes. Beaucoup de gens ne sont pas dans ces réflexions et il est compréhensible qu’une partie de la population souhaite accéder à la matérialité. C’est un vrai choix. D’autres personnes sont dans l’autoconstruction de A à Z ou font le choix de vivre dans des Tiny house. Beaucoup de choses se cristallisent autour de ces questions de modes de pensée et de vie. Mais la prise en compte écologique ne touche pas tout le monde. C’est une réalité. On oppose beaucoup et cela ne crée pas d’unité, la réflexion collective est devenue compliquée. Dans ce sens, il y a une bifurcation. Il y a aussi toute une réalité économique très forte à prendre en compte. Et je pense que l’architecture, de façon générale, est révélatrice de cela.


L’exposition Cabanes sera présentée au Site Le Corbusier à Firminy lors de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2022.  
sitelecorbusier.com
Le Cabanon Le Corbusier est visitable sur réservation : site de Cap Moderne – 06190 Roquebrune Cap-Martin.
capmoderne.monuments-nationaux.fr

par Julie Guyon


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