Le 27 novembre 2024, Lola Hen Pelinq, designeuse-chercheuse (laboratoire Spacetelling) a soutenu son DSRD à l’auditorium de l’Ésad Saint-Étienne, devant un jury composé de :
- Sophie Cras, chercheuse en économie, enseignante
- Simon Geneste, designer
- Mathilde Sauzet, curatrice, artiste, auteure, enseignante
Cette recherche était accompagnée par :
- Ernesto Oroza, designer-chercheur, enseignant-chercheur de l’équipe de recherche Spacetelling à l’Ésad Saint-Étienne,
- Émilie Perotto,
artiste, docteure, enseignante-chercheure de l’équipe de
recherche Spacetelling à l’Ésad Saint-Étienne.
« Le
seul endroit où j’ai accepté d’être designeuse, c’était à l’école.
Après cinq années d’études en design et une première expérience
professionnelle, j’ai réalisé que le métier pour lequel j’avais été
formée manquait de sens à mes yeux, en particulier en raison de ses
implications économiques, écologiques et sociales. J’ai donc choisi de
prolonger mon parcours en entreprenant une réflexion approfondie sur
cette profession que je ne souhaitais plus exercer. En parallèle, et
pour des raisons financières, j’ai dû accepter des emplois alimentaires,
que j’ai finalement intégrés à ma recherche. Chacune de ces expériences
professionnelles m’a permis d’explorer différentes thématiques liées à
l’économie et à la place d’un·e designer·euse en dehors de sa pratique
professionnelle traditionnelle.
Si
l’on observe l’histoire du design, on voit bien que sa fonction n’a pas
énormément changé. La question s’est davantage portée sur celles·ceux
qui l’exerçaient, les designer·euse·s : qui sont-iels ? Quelles
compétences ? Le profil type n’a jamais été fixé, il a été tour à tour
artiste/artisan·e avec Arts & Craft,
artiste/artisan·e/technicien·ne/ingénieur·e pour le Bauhaus, puis un·e
scientifique/ technicien·ne/ingénieur·e dans la pensée de Tomás
Maldonado, empruntée à la pensée constructiviste russe. Définir
le métier de designer·euse relève donc de la gageure tant son champ
d’application est vaste et les compétences demandées aussi. C’est
pourquoi il est légitime de considérer que l’on pourrait faire du design
dans n’importe quel domaine et activité humaine, ce qui fait du·de la
designer·euse une figure plurielle. L’histoire occidentale du design que
l’on apprend à l’école nous dit que celui-ci apparaît durant la seconde
moitiée du XIXe siècle au moment de la révolution
industrielle. On pourrait considérer les origines du design, au sens de
concevoir et produire de l’innovation en réponse aux besoins d’un
quotidien, au Paléolithique avec la conception d’armes de chasse et
d’outils. Cependant, grâce à un consensus théorique, les
chercheur·euse·s ont convenu que le design, tel qu’on l’entend
aujourd’hui, défini par une rationalisation d’une production à bas coût,
prend sa naissance avec la révolution industrielle. Cette
transformation de nos moyens de production a fait basculer, de manière
plus ou moins rapide selon les pays et les régions, une société
majoritairement agraire et artisanale vers une société commerciale et
industrielle. La révolution industrielle et la dépendance économique qui
en découle n’ont pas surgi du jour au lendemain; certain.e.s
économistes situent même les prémices de cette révolution dès le
Moyen-Âge.
La période qui m’intéresse, et qu’évoque Franklin Mendels en
1972, est celle de la proto-industrialisation. Elle représentait une
forme d’activité mixte menée par les paysan·ne·s européen·ne·s au XVIIIe siècle
(essentiellement présente dans les domaines du textile et de
l’horlogerie), combinant travail agricole et production industrielle à
domicile. Mendels divise ce concept en trois catégories : Le Kaufsystem : les fabricant·e·s sont indépendant·e·s, ils travaillent à leur compte, en famille dans leurs ateliers. Le Verlagssystem :
la sphère de production est séparée du négoce, les ouvrier·ère·s
reçoivent et transforment des matières premières fournies par
l’entrepreneur·euse en échange d’un salaire. La manufacture : L’entrepreneur·euse possède les outils de production et contrôle les techniques et le rythme de travail. C’est
cette évolution des systèmes de production qui a entraîné une précarité
économique, ainsi qu’une perte de savoir-faire.
Aujourd’hui, le métier
de designer·euse sous sa forme de freelance pourrait s’apparenter au Verlagssystem :
un fonctionnement régi par la commande dans lequel le·la designer·euse
est dépendant·e d’un·e commanditaire et des lois du marché. Étant la
plupart du temps payé·e à la tâche, le·la designer·euse est souvent
confronté·e à une accumulation de missions décousues qui, mises bout à
bout, produisent un salaire souvent insuffisant pour vivre. Le·la
designer·euse est donc contraint·e, suivant les missions qu’iel trouve,
de prendre un emploi alimentaire en parallèle. C’est ce que l’on appelle
la pluriactivité. Comme le·la paysan·ne qui ne peut plus cultiver sa
terre en hiver, le·la designer·euse en peine de mission doit trouver des
tâches lucratives pouvant compléter ses revenus. C’est en acceptant
cette pluriactivité que j’ai petit à petit pu détacher ma pratique du
design du métier de designer·euse. Ce choix a libéré ma pratique de
toute pression économique et m’a permis de me concentrer davantage sur
la façon d’envisager autrement ma pratique. Le choix de narrer ma
recherche sous la forme d’une succession d’activités professionnelles
est une posture de chercheur·euse qui s’inscrit dans une perspective
plus large de recherche ouverte, parfois empirique, faite
d’allers-retours, de questionnements. Une recherche n’est pas seulement
le travail d’analyse d’un sujet, mais également un travail du·de la
chercheur·euse sur elle·lui-même. Ce travail d’écriture sert donc à
comprendre la démarche d’un·e designeuse en quête d’émancipation d’une
profession obsolète à ses yeux. »
Lola Hen Pelinq
Cette recherche s’est concentrée dans 4 éditions,
(conception graphique Pauline Aignel et Philippine Garsuault)
téléchargeables ci-dessus :